Première séance du mardi 21 novembre 2017
- Présidence de M. François de Rugy
- 1. Questions au Gouvernement
- Difficultés des collectivités territoriales
- Installation à Paris de l’Autorité bancaire européenne
- Situation des migrants en Libye
- Relations entre l’État et les collectivités territoriales
- Situation des migrants en Libye
- Situation des migrants en Libye
- Situation des migrants en Libye
- Aménagement des territoires ruraux
- Organisation d’un stage « en non-mixité »
- Situation de l’école en Polynésie française
- Bilan de la COP 23
- Difficultés des communes rurales
- Lutte contre les violences faites aux femmes
- Situation des migrants en Libye
- Lutte contre le harcèlement à l’école
- 2. Projet de loi de finances pour 2018
- 3. Renforcement du dialogue social
- 4. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. François de Rugy
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Questions au Gouvernement
M. le président
L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
Difficultés des collectivités territoriales
M. le président
La parole est à M. Thibault Bazin, pour le groupe Les Républicains.
M. Thibault Bazin
Ma question s’adresse au Premier ministre.
Quinze mille maires sont réunis aujourd’hui pour leur centième congrès. Les maires sont en colère contre votre politique.
Vous avez pris, sans aucune concertation, des mesures brutales : vous avez annulé 300 millions d’euros pour la ruralité, vous avez baissé brutalement le nombre de contrats aidés, vous rognez l’autonomie des communes avec la quasi-suppression de la taxe d’habitation, vous exigez des collectivités 13 milliards d’économies sur cinq ans, ce que l’État ne s’impose pas à lui-même.
Avec ce Gouvernement, c’est la continuité en pire ! Trop, c’est trop !
Les maires n’en peuvent plus car votre politique délaisse encore davantage nos territoires rurbains et ruraux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Exclamations sur les bancs du groupe REM.)
Votre projet de loi de finances est profondément injuste. Vos mesures de restriction budgétaire ciblent presque exclusivement la France des territoires. La France, ce n’est pas que les métropoles.
M. Erwan Balanant
Quelle est la question ?
M. Thibault Bazin
Soyons réalistes, vous ne voulez pas donner un avenir à nos communes. Pourtant, la République ne doit oublier aucun territoire.
La conférence des territoires, tant attendue, n’est qu’une opération de communication de plus. Le développement de nos communes et la préservation des services publics locaux exigent une autre politique. On en est loin !
Je le mesure bien car j’ai été maire pendant neuf ans et ma circonscription recouvre 190 communes.
Les maires ne sont pas dupes : votre opération de mystification n’a pas marché. (« La question ! »sur les bancs du groupe REM.)
Nous refusons la mise sous tutelle de nos communes. Les maires sont dévoués, courageux, et ils bénéficient, eux, de la confiance des Français.
Un député du groupe REM
Démagogue !
M. Thibault Bazin
Mais vous leur retirez les moyens d’assumer leurs missions.
Allez-vous enfin respecter les maires ? Allez-vous enfin entendre la grogne qui monte des territoires ? Allez-vous enfin arrêter d’aggraver la fracture territoriale ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur. (« Et de Lyon ! » sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. Raphaël Schellenberger
À Lyon, il n’y a pas de problème. Lyon a droit à un traitement spécial !
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Je réponds cet après-midi à la place du Premier ministre, qui, comme vous le savez, a été un grand maire du Havre. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM. - Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
Il a donc, monsieur le député, la même expérience que vous. Il sait, tout comme vous, que les collectivités territoriales, et en particulier, les communes et le bloc communal, ont vécu dans la période récente des années difficiles.
M. Pierre Cordier
Avec vos amis !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Vous le savez, le premier gel en valeur de la dotation globale de fonctionnement – DGF –…
Mme Émilie Bonnivard
Le gel, ce n’est pas la baisse !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
…a été appliqué en 2011. À l’époque, le ministre de l’économie s’appelait François Baroin. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.)
M. Fabien Di Filippo
Hypocrite !
M. Pierre Cordier
Ce n’était qu’un gel de la DGF !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Ensuite, comme vous le savez, la DGF a été réduite de 25 %, soit une baisse de 11 milliards d’euros entre 2012 et 2017.
M. Pierre Cordier
Par vos amis !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Oui, les collectivités territoriales ont beaucoup souffert.
M. Fabien Di Filippo
Et cela ne va pas s’arranger !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas mener la même politique. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM. - Vives exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. Aurélien Pradié
Vous faites pire !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Pour la première fois depuis des années, les dotations de fonctionnement ne baissent pas, elles sont même en légère augmentation. (Mmes et MM. les députés des groupes REM et MODEM se lèvent et applaudissent vivement. – Protestations sur les bancs du groupe LR.)
M. le président
Je vous remercie, monsieur le ministre d’État.
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Mesdames, messieurs, élu local comme vous, je savais que si nous menions la même politique, les collectivités seraient confrontées à des difficultés énormes. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM. – Exclamations continues sur les bancs du groupe LR.)
M. le président
Je rappelle que le temps de parole est limité à deux minutes. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
Installation à Paris de l’Autorité bancaire européenne
M. le président
La parole est à M. Ludovic Mendes, pour le groupe La République en marche.
M. Ludovic Mendes
Madame la ministre chargée des affaires européennes, nous avons eu le plaisir d’apprendre hier la désignation de Paris comme nouvelle ville hôte de l’Autorité bancaire européenne à compter de 2019, suite à l’entrée en vigueur du Brexit. L’Autorité bancaire européenne est l’une des trois agences créées en 2011 pour réguler les services financiers, aux côtés de l’Autorité européenne des marchés financiers et de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles.
Au nom des députés du groupe La République en marche, je me félicite de cette décision prise par le Conseil de l’Union européenne. Cela témoigne de la crédibilité restaurée de notre pays sur la scène européenne et va constituer une opportunité économique avec la création de centaines d’emplois sur notre territoire.
M. Daniel Fasquelle
Ce n’est pas vrai !
M. Ludovic Mendes
La place de la France au sein de l’Union se trouve renforcée par cette décision, qui met en lumière la « reconnaissance de l’attractivité et de l’engagement européen de la France », comme l’a souligné le Président de la République.
Mme Valérie Beauvais
Quelle est la question ?
M. Ludovic Mendes
Les négociations préalables au vote ont été particulièrement intenses et nous ne pouvons que saluer votre investissement sans faille et celui du Gouvernement qui a permis d’emporter le suffrage de nos partenaires européens.
Mme Valérie Beauvais
Quelle est la question ?
M. Ludovic Mendes
Dans le même temps, la relocalisation de l’Agence européenne du médicament a été attribuée à Amsterdam, la candidature de la métropole de Lille n’ayant hélas pas été retenue.
M. Daniel Fasquelle
Elle n’a pas été soutenue !
M. Ludovic Mendes
Contrairement à certains, qui tentent d’entretenir la polémique, nous sommes convaincus que le Gouvernement et le chef de l’État ont défendu ces deux dossiers avec la même énergie et la même volonté de réussite pour notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM.)
M. Daniel Fasquelle
C’est faux !
M. Fabien Di Filippo
En tout cas, quel échec !
M. Ludovic Mendes
Madame la ministre, les premières conséquences effectives du Brexit commencent à se faire sentir et d’autres entreprises ou administrations vont devoir à terme relocaliser leur centre de décision dans un autre pays européens. Pouvons-nous considérer que le choix de la France pour accueillir l’Autorité bancaire européenne constitue le premier pas vers un accueil plus large de compagnies du secteur bancaire et de centres de décision d’entreprises européennes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe REM.)
M. le président
Mes chers collègues, puisque vous avez l’air, sur tous les bancs, de réagir à la question de notre collègue, le mieux est de le laisser finir et d’entendre avec la même courtoisie la réponse du Gouvernement, sans quoi nous ne pourrons plus tenir correctement les séances de questions d’actualité.
La parole est à Mme la ministre chargée des affaires européennes.
Mme Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes
Monsieur le député, hier soir, Paris a gagné, la France a gagné,…
M. Fabien Di Filippo
Paris n’est pas la France !
Mme Nathalie Loiseau, ministre
…mais surtout l’Europe a gagné.
M. Christian Jacob
Et Lille a perdu !
M. Sébastien Chenu
Vous nous avez lâchés !
Mme Nathalie Loiseau, ministre
Pour cause de Brexit, nous avons dû travailler à la relocalisation sur le continent de deux agences qui se trouvaient jusqu’à présent à Londres : l’Agence européenne du médicament et l’Autorité bancaire européenne.
La France a présenté deux très bonnes candidatures : Lille pour l’Agence européenne du médicament, Paris pour l’Autorité bancaire européenne. Le Gouvernement s’est pleinement mobilisé…
M. Pierre Cordier
Bravo pour la mobilisation !
Mme Nathalie Loiseau, ministre
…et je remercie mes collègues Agnès Buzyn, Bruno Le Maire et Benjamin Griveaux qui, à mes côtés, ont sillonné l’Europe (Applaudissements sur quelques bancs du groupe REM) et n’ont pas ménagé leur énergie pour défendre ces deux candidatures.
S’agissant de l’Agence européenne du médicament, malheureusement, la candidature de Lille n’a pas convaincu. Il faut avouer que la concurrence était rude, puisque dix-neuf villes, dont de très nombreuses capitales, étaient candidates pour accueillir cette agence.
M. Fabien Di Filippo
N’essayez pas de justifier vos échecs !
Mme Nathalie Loiseau, ministre
S’agissant de l’Autorité bancaire européenne, certains ne nous donnaient guère de chances. Pourtant, nous avons gagné et, ce faisant, nous avons réussi à convaincre que la France était de retour en Europe, et à convaincre du sérieux de notre engagement sur la régulation bancaire et du caractère attractif de Paris comme place financière européenne.
La présence, bientôt, de l’Autorité bancaire européenne à Paris sert de porte-avions à l’attractivité de la place économique et financière de Paris. Des emplois sont déjà en train de se relocaliser sur la capitale, et je salue l’engagement des collectivités territoriales aux côtés du Gouvernement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM.)
Situation des migrants en Libye
M. le président
La parole est à M. Vincent Ledoux, pour le groupe Les Constructifs : républicains, UDI, indépendants.
M. Vincent Ledoux
Madame la ministre chargée des affaires européennes, « 200, 300, 400, adjugé vendu ! » Nous ne sommes pas dans une salle des ventes traditionnelle, mais en Libye, pour une transaction sinistre, sordide, qui constitue une régression absolue de notre droit humain. Parce qu’ils sont pauvres, parce qu’ils sont migrants, parce qu’ils sont noirs. (Applaudissements sur les bancs des groupes LC, REM, MODEM, NG, GDR et sur plusieurs bancs du groupe LR.)
Pourtant, l’Organisation internationale pour les migrations – OIM – alerte les gouvernements depuis avril. Et il a fallu le choc des images incroyables de CNN, des visages stupéfaits de pauvres, pour prendre la mesure cruelle de ce scandale.
Je veux évoquer ici, non pas une figure emblématique du grand courant anti-esclavagiste, mais un jeune Africain. Il s’appelle Ismaël. Il a vingt-neuf ans. Il est électricien. Il se bat comme un beau diable pour son travail, là-bas, en Afrique. Il a traversé le désert. Il s’est fait dépouiller en Libye. Hier, je lui ai écrit par Messenger et il m’a répondu : « Je suis encore tenté par cette aventure de l’espoir, mais vivre dans la misère n’est pas vivre ». Oui, mes chers collègues, vivre dans la misère n’est pas vivre et l’on peut comprendre pourquoi tous ces migrants suivent cette route de l’espoir.
Ces faits nous interrogent sur la pertinence du dispositif européen que nous organisons pour gérer les flux migratoires. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LC.) Profitons utilement du cinquième sommet Europe-Afrique à Abidjan pour définir les meilleures solutions, qui passent nécessairement par une aide publique au développement à la hauteur des enjeux, pour que chacun puisse vivre dignement de son travail au pays.
Au-delà de la phrase d’Ismaël, il me revient en mémoire cette parole de sagesse africaine : « Si tu veux aller vite, marche seul, mais si tu veux aller loin, marchons ensemble. »
Madame la ministre, la communauté internationale est à un rendez-vous historique. Elle doit trouver les voies et moyens de marcher ensemble. Pour cela, elle doit contribuer en tout point de la planète à l’extinction de l’esclavagisme. Je vous interroge sur ce point : quelle est la voix de la France, alors que nous nous apprêtons à célébrer le cent soixante-dixième anniversaire de l’abolition de l’esclavage ? (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre chargée des affaires européennes.
Mme Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes
Monsieur le député, nous avons tous été saisis d’horreur en voyant les images qui ont été diffusées récemment, mais aussi en entendant les témoignages, notamment celui du Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, sur la situation abominable faite aux migrants en Libye.
Cette situation appelle de notre part des actes de responsabilité. Nous avons commencé, avec le Président de la République, depuis le mois d’août, à prendre nos responsabilités et à inciter nos partenaires européens à prendre les leurs, en convoquant un sommet réunissant des représentants des principaux pays européens, des pays africains et des autorités libyennes, pour traiter la question migratoire au niveau des pays d’origine et des pays de transit, pour lutter efficacement contre les passeurs – ces trafiquants d’êtres humains qui doivent être poursuivis partout, non seulement dans les pays d’origine où ils sévissent et rançonnent les migrants, dans les pays de transit où ils se livrent à des actes abominables, mais aussi dans nos pays, où ils doivent être poursuivis et condamnés.
Nous devons aussi renforcer l’aide publique au développement pour faire en sorte que cette jeunesse africaine dont vous parlez puisse avoir un avenir crédible.
M. Olivier Faure
Faites-le !
Mme Nathalie Loiseau, ministre
C’est la raison pour laquelle l’Union européenne est le premier bailleur de fonds de l’Afrique. C’est la raison pour laquelle elle a mis en place un fonds fiduciaire d’urgence à destination des pays frappés par les migrations. Nous avons triplé notre contribution à ce fonds. Nous avons aussi décidé de donner 10 millions à l’Organisation internationale des migrations et au Haut-Commissariat pour les réfugiés, afin de venir en aide aux migrants en Libye.
La semaine dernière, une mission de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides – OFPRA – s’est rendue au Niger pour interviewer des migrants évacués de Libye par le Haut-Commissariat pour les réfugiés, qui seront prochainement accueillis dans notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM.)
Relations entre l’État et les collectivités territoriales
M. le président
La parole est à M. Yannick Haury, pour le groupe La République en marche.
M. Yannick Haury
Monsieur le ministre de l’intérieur, aujourd’hui s’ouvre le centième congrès des maires de France. C’est l’occasion de rendre hommage aux maires de nos communes (Applaudissements sur tous les bancs) qui sont au côté des citoyens au quotidien et dont je sais la tâche difficile mais ô combien passionnante, pour avoir eu l’honneur d’être maire de Saint-Brevin-les-Pins pendant dix ans. De fait, la République doit beaucoup à ses élus de base. L’effort du Gouvernement envers les collectivités est important et doit être souligné (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe LR), mais nous entendons aussi les inquiétudes venant de nos territoires.
M. Pierre Cordier
Il ne suffit pas de le dire !
M. Yannick Haury
Chaque commune est différente et a ses spécificités. Les maires ont besoin qu’on leur fasse confiance, et c’est ce que vous avez fait dès votre arrivée…
M. Ian Boucard
Baratin !
M. Yannick Haury
…en leur rendant la liberté de revenir sur la réforme des rythmes scolaires. Les maires doivent faire face au besoin de solidarité et de services publics, et entretenir le patrimoine de leur commune.
M. Aurélien Pradié
Des actes !
M. Yannick Haury
Il leur appartient aussi de tout mettre en œuvre pour maintenir des centres-villes dynamiques. Inquiets sur leurs capacités d’investissement, ils ont besoin d’être rassurés.
Mme Marie-Christine Dalloz
« Allo ! »
M. Yannick Haury
Comme l’a rappelé le Premier ministre dans sa lettre aux maires, pour la première fois depuis quatre ans – nous pouvons en être fiers –, la dotation globale de fonctionnement ne baissera pas. La suppression de la taxe d’habitation, mesure essentielle pour le pouvoir d’achat des ménages, est compensée pour les communes. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. Pierre Cordier
Où est l’autonomie des collectivités locales ?
M. le président
Veuillez écouter l’orateur, mes chers collègues !
M. Yannick Haury
Vous avez mis en place un véritable partenariat entre l’État et les collectivités, avec la Conférence nationale des territoires ;…
M. Fabien Di Filippo
Quel magnifique discours hors-sol !
M. Yannick Haury
…de nombreuses consultations associant les élus sont organisées partout en France. Au moment où nous allons voter le premier budget du quinquennat, alors que plus de 15 000 maires sont attendus à la porte de Versailles, pouvez-vous nous assurer de votre entier soutien aux instances territoriales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe REM.)
M. Christian Jacob
Merci pour les questions !
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur. (« Et ministre de Lyon ! » sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Monsieur le député, ce n’est ni à moi, ni à Mme Gourault, qui avons été maires pendant quelques années (Exclamations sur les bancs du groupe LR), qu’il faut rappeler que le Gouvernement doit nouer un partenariat avec les maires et retrouver leur confiance : nous le savons très bien. Mesdames, messieurs les députés, comme je vous l’ai dit précédemment, nous voulons établir ce pacte de confiance avec les maires, et, plus largement, les élus des collectivités territoriales.
M. Fabien Di Filippo
Il n’y a pas que le maire de Lyon qu’il faut aider !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
C’est pour cela que nous ne baisserons pas les dotations de fonctionnement et que nous augmenterons même les dotations d’investissement. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Mais, comme vous le savez, l’État est endetté à hauteur de 2 200 milliards. (Mêmes mouvements.)
M. Pierre Cordier
Grâce à vos amis, monsieur !
M. le président
S’il vous plaît, mes chers collègues !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Il faut faire baisser la dépense publique mais, pour notre part, nous avons choisi de le faire au travers d’un pacte de confiance. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe REM.)
M. Fabien Di Filippo
Le pistolet sur la tempe !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Nous proposons que les dépenses de fonctionnement n’augmentent pas de plus de 1,2 % ; je rappelle que, l’an dernier, elles avaient reculé de 0,2 % et qu’au cours des deux dernières années, les dépenses d’investissement avaient baissé de deux fois 8 %.
M. Pierre Cordier
Grâce à vos amis !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Alors, oui, nous retissons ce pacte de confiance avec les collectivités territoriales ! (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.)
M. Fabien Di Filippo
Heureusement que vous n’apparteniez pas à la précédente majorité, monsieur Collomb !
Situation des migrants en Libye
M. le président
La parole est à M. Éric Coquerel, pour le groupe La France insoumise.
M. Éric Coquerel
Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, plutôt deux fois qu’une, étant donné la gravité du sujet : le 14 novembre, CNN diffusait un reportage sur une vente aux enchères, en Libye, portant sur une douzaine de migrants, tous originaires d’Afrique noire. D’autres médias ont depuis confirmé l’existence de ces marchés aux esclaves.
Le 13 mai 1791, devant l’Assemblée nationale, Robespierre répliqua à ceux qui voulaient protéger l’esclavage par la Constitution, au nom des intérêts des colonies : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! ». Il n’est en effet pas de République, il n’est pas de valeurs universelles sans la défense de ce principe. Or, depuis le 14 novembre, rares sont les voix qui se sont émues de cette abomination. Une manifestation spontanée de plusieurs milliers de personnes, samedi dernier, n’a guère valu d’autres réactions officielles que celle de condamner les rares incidents survenus lors de sa conclusion.
Alors que l’OIM – Organisation internationale pour les migrations – s’insurge contre la marchandisation des êtres humains, que le président de l’Union africaine a exprimé son indignation, que le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a directement mis en cause la responsabilité de l’Italie et de l’Union européenne, je n’ai vu qu’un tweet d’Emmanuel Macron. Pourtant, la responsabilité de la France dans le désordre et le vide sécuritaire qui se sont installés en Libye, à la suite de son intervention militaire de 2011, sont gravissimes.
On n’a vu ni démocratie, ni paix en Libye, mais l’émergence de milices qui, depuis les accords avec l’Union européenne, traitent directement la question des migrants en tant que passeurs, gardiens de centres de rétention et, maintenant, trafiquants d’esclaves.
Il y a quelques semaines, Emmanuel Macron voyait en la Libye un « pays tiers sûr » dans le parcours d’asile pour gérer les migrations. Le Gouvernement se rend-il compte aujourd’hui de l’inanité de ce dispositif ? Que compte faire la France pour dénoncer les accords entre l’Union européenne et la Libye, qui s’avèrent aussi inefficaces qu’inhumains ? Comptez-vous réagir plus vigoureusement que par un tweet devant l’abominable ? Il ne faut pas seulement pleurer, il faut aussi agir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes FI, GDR et NG.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre chargée des affaires européennes.
Mme Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes
Monsieur le député, vous avez raison : ce qui se passe en Libye constitue une abomination. Vous avez raison : c’est parce qu’aujourd’hui, il n’y a pas d’État stable et sûr que l’on ne peut pas espérer y faire respecter les droits de l’homme. Là où je ne vous rejoins pas, c’est lorsque vous semblez penser que nous considérerions la Libye comme un État tiers sûr. Les efforts que déploie le Président de la République vont dans le sens d’une stabilisation de la Libye. C’est la raison pour laquelle il a réuni à La Celle-Saint-Cloud le président du conseil présidentiel du gouvernement d’entente nationale de Libye et le maréchal Haftar. C’est la raison pour laquelle nous soutenons les efforts du secrétaire général des Nations unies et de son représentant spécial, Ghassan Salamé. Souvenons-nous qu’il y a quelques années, la Libye était un pays de destination de très nombreux migrants, notamment subsahariens. Aujourd’hui, c’est devenu le pays de leur martyre.
Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est aller chercher les demandeurs d’asile en besoin manifeste de protection avant qu’ils n’aient à subir un calvaire en Libye. C’est ce que nous avons fait la semaine dernière, avec la mission que nous avons envoyée au Niger. Nous demandons à nos partenaires européens d’agir de même.
M. Olivier Faure
C’est du pipeau !
Mme Nathalie Loiseau, ministre
Ce que nous faisons, c’est soutenir l’Organisation internationale pour les migrations, le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés, pour qu’ils puissent travailler dans de meilleures conditions en Libye. Ce que nous faisons, je l’ai déjà dit, je le répète, c’est travailler avec les pays d’origine des migrations pour offrir à tous ces jeunes qui risquent leur vie un avenir dans leur pays et sur leur continent. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe REM.)
Situation des migrants en Libye
M. le président
La parole est à Mme Sereine Mauborgne, pour le groupe La République en marche.
Mme Sereine Mauborgne
Je salue l’unanimité des bancs sur la question que je vais poser. Madame la ministre chargée des affaires européennes auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, depuis 2011 et la chute du régime de Mouammar Kadhafi, il n’y a plus à proprement parler d’État en Libye. Le pays, divisé entre grandes factions rebelles et milices rivales, a sombré dans le chaos. Au milieu de ce chaos, des centaines de milliers de migrants, réfugiés et demandeurs d’asile se retrouvent bloqués et parfois prisonniers de groupes armés et de passeurs. Sans détour, nous sommes en pleine tragédie, comme a pu l’évoquer la semaine dernière le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. Plusieurs spécialistes n’hésitent plus à comparer la Libye à « une sorte de camp de concentration à ciel ouvert » pour ces populations. Ceux qui peuvent témoigner décrivent un parcours terrifiant, un voyage au bout de l’enfer : enlèvements, exploitation, détentions arbitraires, viols systématiques des femmes, marchés aux esclaves, c’est l’accumulation de l’horreur sur le parcours de l’immigration.
Je salue le volontarisme de la France, engagée dans l’opération européenne Sophia en Méditerranée et à l’initiative, en juillet dernier, d’une reprise du dialogue entre les deux principaux protagonistes de la crise en Libye, M. Fayez al-Sarraj et le maréchal Khalifa Haftar. Notre pays va accueillir vingt-cinq premiers réfugiés, évacués de Libye par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés – HCR. Cela constitue, nous l’espérons, l’amorce d’une dynamique plus large. Comme l’a souligné le Président de la République, il est indispensable que nos alliés européens se joignent à notre mobilisation face à l’ampleur du défi humain. L’Europe doit être en mesure de déployer une réponse à la hauteur de son projet politique.
Madame la ministre, ma question est simple : quelles sont, à court et moyen terme, les actions envisagées par le Gouvernement et, plus largement, par l’Union européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe REM.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre chargée des affaires européennes.
Mme Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes
Madame la députée, j’ai dit toute l’horreur que nous inspire la tragédie qu’endurent les migrants en Libye et qu’a dénoncée le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. Notre devoir d’humanité nous commande d’agir. Avant même d’avoir connaissance du niveau d’atrocité des crimes commis par les trafiquants d’êtres humains, la France a choisi de prendre ses responsabilités. Comme vous l’avez relevé, madame la députée, l’Europe assume, au large des côtes libyennes, une mission de lutte contre les passeurs, la mission Sophia, à laquelle la France participe et qui a contribué à sauver de nombreuses vies. Mais nous savons maintenant qu’avant même de braver le danger en traversant la Méditerranée, les migrants mettent en péril leur intégrité physique en Libye même.
Nous devons impérativement redoubler d’efforts pour stabiliser la situation en Libye et responsabiliser ceux qui y détiennent une parcelle de pouvoir. Nous parlons sans détour avec tous sur les faits que vous dénoncez. Une enquête a été annoncée, qui doit aboutir dans les meilleurs délais pour que de pareils agissements ne puissent pas rester impunis.
Nous appelons également à un renforcement des missions civiles de police déployées par l’Union européenne aux frontières sud de la Libye pour lutter contre les passeurs. Cette lutte contre les trafiquants d’êtres humains passe aussi par des sanctions européennes à leur encontre, et donc par une plus forte coopération entre nos services de police pour établir et partager les listes des individus et des réseaux qui bafouent les valeurs humaines les plus fondamentales. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM.)
Situation des migrants en Libye
M. le président
La parole est à M. Max Mathiasin, pour le groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
M. Max Mathiasin
Cette question s’adresse au Premier ministre. Elle s’adresse à toute la représentation nationale, à la France, pays des droits de l’Homme, aux femmes et aux hommes d’aujourd’hui, et à la postérité. Sur la planète, il y a des passés qui n’en finissent pas de passer. J’ai connu ma grand-mère, qui m’a raconté son grand-père. Il est né en Afrique, en homme libre. Il a été capturé et vendu. Il est arrivé en Guadeloupe en esclave. Il est mort après l’abolition de l’esclavage. Et cela se passait dans une colonie française.
D’aucuns pensent que la traite d’êtres humains et l’esclavage ont disparu au XIXe siècle, mais il n’en est rien. Aujourd’hui, en Libye, des migrants africains, en route vers l’Europe, sont vendus aux enchères comme esclaves par des trafiquants. C’est cette tragédie que vient de révéler au monde la chaîne américaine CNN, dans un reportage qui glace le sang. Alors, pour moi, comme pour beaucoup de nos compatriotes des outre-mer et de l’hexagone, cette réalité fait partie de ma mémoire, de notre mémoire, de ma vie, de notre vie et de la culture qui nous façonne tous.
Mes chers collègues, n’est-ce pas dans cet hémicycle même qu’a été votée, en 2001, la loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité ? (Applaudissements sur tous les bancs.) La France et l’Union européenne doivent réagir face à ce drame humanitaire insoutenable qui sévit en Libye et dans d’autres pays, que nous connaissons.
Monsieur le Premier ministre, comment la France, pays des droits de l’Homme, va-t-elle intervenir pour faire cesser au plus vite ces horreurs ?
M. Philippe Vigier
Très bien !
M. Max Mathiasin
Il s’agit là d’une urgence absolue ! (Applaudissements sur tous les bancs. – Mmes et MM. les députés des groupes
M. le président
La parole est à Mme la ministre chargée des affaires européennes.
Mme Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes
Monsieur le député, les faits que vous dénoncez avec éloquence et émotion sont en effet abominables. Aujourd’hui, au XXIe
La responsabilité, c’est d’éviter à ces populations ce voyage au bout de l’enfer, en prenant en charge au plus près de leur pays d’origine ceux qui relèvent manifestement du droit d’asile. C’est ce que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides – OFPRA – a commencé à faire au Niger.
La responsabilité, c’est de travailler sans relâche à la lutte contre les passeurs, ces négriers modernes qui ne reculent devant rien et sont uniquement animés par l’appât du gain. N’ayez aucun doute quant à notre détermination sur ce point.
Mais plus profondément, vous avez raison, monsieur le député, notre responsabilité est de contribuer à ce que la jeunesse d’Afrique trouve sur le continent des raisons de croire à son avenir. La France prend toute sa part dans l’aide au développement du continent africain. Notre aide à l’Afrique est robuste et ancienne.
Dans quelques jours, l’Europe et l’Afrique se réuniront à Abidjan, à l’occasion du sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine où la question des migrations sera à l’ordre du jour. C’est ensemble, Europe et Afrique, que nous pourrons façonner un nouveau destin pour notre continent. C’est avec une même détermination qu’Européens et Africains devront éradiquer cette forme moderne d’esclavage, proprement insupportable, et combattre tous ceux qui y prêtent leur concours. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM.)
Aménagement des territoires ruraux
M. le président
La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Jean-Paul Dufrègne
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, ma question s’adressait au Premier ministre, mais elle concerne, de par sa transversalité, l’ensemble des ministères – les transports, l’économie, la santé, la culture ou, bien entendu, l’aménagement du territoire.
Le congrès des maires de France met en lumière la richesse de nos territoires et m’incite à poser ma question maintenant. Il ne faut pas opposer territoires urbains, notamment ceux des métropoles, et territoires ruraux, car leur complémentarité offre des choix de vie différents. Il faut néanmoins reconnaître leurs spécificités et être conscients que les problématiques sont différentes et appellent des réponses adaptées.
Les politiques menées depuis de nombreuses années n’ont pas suffisamment abordé les problèmes des ruralités dans leur globalité. Un jour on parle infrastructures, un autre déserts médicaux, un troisième logement, sans véritable lien ni mise en cohérence de ces problématiques, même si les contrats de ruralité constituent une avancée.
Il faut aller plus loin et avoir une véritable vision pour ces territoires dont les atouts sont une chance pour participer au redressement économique de notre pays, répondre au désir de campagne exprimé par de nombreux Français ou lutter contre le sentiment d’abandon ressenti par d’autres.
Pour permettre à nos concitoyens d’habiter, de travailler ou tout simplement de vivre sur un territoire, il faut que celui-ci soit accessible, équipé de logements et de services, que des activités puissent y être développées, qu’on y offre des emplois ainsi que des activités récréatives et culturelles.
Pour que l’ensemble de ces objectifs soient mis en cohérence dans un projet, une loi d’orientation et de programmation pour les territoires ruraux doit être proposée. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI ainsi que sur quelques bancs des groupes NG et LR.)
Mesdames, messieurs les ministres, il est indispensable qu’un groupe pluraliste de parlementaires puisse esquisser les contours de ce texte à partir des réflexions conduites ces dernières années sur le sujet et en s’appuyant sur les associations d’élus ou d’acteurs impliqués dans ce domaine, que ce soit pour son volet économique, social, environnemental ou encore sociétal. Soutiendrez-vous une telle initiative ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe NG.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur. (« Et de Lyon ! »sur quelques bancs du groupe LR.)
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Monsieur le député Jean-Paul Dufrègne, je vous remercie tout d’abord de ne pas opposer, comme on le fait parfois, territoires urbains et territoires ruraux.
Un député du groupe LR
C’est votre politique qui les oppose !
M. Christian Jacob
Et qui oppose la métropole de Lyon et la région !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Je suis de ceux qui pensent qu’il existe entre eux une véritable complémentarité qu’il faudra faire valoir dans notre politique des cinq prochaines années. C’est pour cela que nous voulons mener une politique ambitieuse pour les territoires ruraux.
Mme Émilie Bonnivard
Grâce au produit de la CVAE ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Au travers de l’action des différents ministres, nous lutterons dans les prochains temps contre la fracture qui marque la France. En particulier, nous ferons en sorte qu’il n’y ait plus de déserts médicaux(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR),
M. Pierre Cordier
Nous avons déjà bien assez attendu !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
…que des maisons de service public maillent le territoire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM.)
Enfin, dans le budget de cette année, nous avons abondé les contrats de ruralité de 45 millions d’euros pour prendre en compte vos problématiques.
M. Thibault Bazin
Fumisterie !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Ma collègue Jacqueline Gourault a notamment décidé de ramener à huit le nombre de compétences nécessaires pour bénéficier de la dotation globale de fonctionnement bonifiée,…
Mme Émilie Bonnivard
Grâce à nous !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
…car nous sommes conscients de l’ampleur de la tâche pour les communautés de communes rurales lorsqu’il s’agit d’exercer de nouvelles compétences. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
Oui, nous prendrons en charge les territoires ruraux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe REM et sur quelques bancs du groupe MODEM ainsi que sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
Organisation d’un stage « en non-mixité »
M. le président
La parole est à Mme Cécile Rilhac, pour le groupe La République en marche.
Mme Cécile Rilhac
Ma question s’adresse au ministre de l’éducation nationale.
Monsieur le ministre, il y a quelques semaines, un syndicat a programmé un stage de formation destiné aux enseignants avec deux ateliers « en non-mixité raciale », c’est-à-dire réservés aux non-Blancs. Cette formation propose de débattre de problématiques autour du racisme au sein de l’éducation nationale.
Je sais, monsieur le ministre, que vous n’avez pas la compétence d’interdire ce genre d’initiatives. Comme vous, nous condamnons la méthode proposée, qui démontre un manque de confiance en l’autre, simplement parce qu’il est différent, et dessert la cause de la lutte contre le racisme sous toutes ses formes.
M. Philippe Vigier
Très bien !
Mme Cécile Rilhac
Cette conception étroite de la discussion ne peut aller de pair avec l’esprit d’ouverture et de partage qu’incarne l’éducation nationale.
Bien entendu, le combat contre le racisme est au cœur de la société multiculturelle, et au cœur des programmes scolaires. Les enseignants ont le droit d’exprimer leur point de vue en toute liberté. Mais, en même temps, je dénonce une forme d’hystérisation et d’instrumentalisation de cette polémique par une partie de l’extrême droite et de la « fachosphère ».
M. Aurélien Pradié
Pudeur de gazelle !
Mme Cécile Rilhac
L’éducation nationale mérite plus qu’une polémique stérile. En tant qu’enseignante, en tant que cheffe d’établissement, j’ai toujours combattu ces postures et ces idées.
Aussi, monsieur le ministre, ma question est simple, et vous l’avez très bien rappelé dans votre lettre de rentrée aux enseignants pour expliciter votre approche de la confiance et de la liberté : pourriez-vous nous dire, ici, devant la représentation nationale, comment vous comptez faire pour donner confiance à tous les acteurs de l’éducation nationale afin qu’ils assurent leurs missions en toute sérénité ? (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.)
M. le président
La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
Un député du groupe LR
Soyez ferme !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. » Tels sont les termes de l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui est, je pense, à l’origine de l’engagement de tous les membres de cette assemblée. Ce principe est également professé par notre institution scolaire. Tout ce qui met en cause ce fondement de notre République, de notre histoire républicaine est évidemment très grave.
J’ai bien entendu pris connaissance avec beaucoup de tristesse de l’initiative d’un syndicat…
Un député du groupe LR
SUD !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre
…d’organiser deux ateliers séparant les « racialisés » des « non-racialisés ».
Un député du groupe LC
C’est un scandale !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre
L’expression utilisée est elle-même absolument scandaleuse. Elle ne peut pas avoir sa place dans l’éducation nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM, MODEM, LC, LR et NG.)
On parle de « non-mixité raciale », de « blanchité », de « racisé » : les mots les plus épouvantables du vocabulaire politique sont utilisés au nom d’un prétendu antiracisme alors qu’ils véhiculent évidemment un racisme. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)
Pour ces raisons, et parce que le syndicat en question a également employé les termes de « racisme d’État », j’ai décidé de porter plainte pour diffamation à l’encontre de SUD éducation 93 (Applaudissements sur les bancs des groupes REM, MODEM, LC et LR) en vertu de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881. Et je regrette que le syndicat national ne se soit pas désolidarisé de la section de Seine-Saint-Denis. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)
Je porterai ces faits à la connaissance du procureur de la République pour qu’il y donne les suites nécessaires. Nous devons avoir l’unanimité de la représentation nationale contre cette vision de l’homme. (Mmes et MM. les députés des groupes REM, MODEM, LC, LR et NG se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur certains bancs du groupe FI.)
Situation de l’école en Polynésie française
M. le président
La parole est à Mme Nicole Sanquer, pour le groupe Les Constructifs : républicains, UDI, indépendants.
Mme Nicole Sanquer
Monsieur le ministre de l’éducation nationale, vous achevez aujourd’hui un cycle de rencontres avec les recteurs d’académies dans le cadre du dialogue de gestion annuel. Je souhaite vous sensibiliser sur la situation de l’école en Polynésie Française en amont des arbitrages pour la prochaine rentrée scolaire.
L’éducation constitue une priorité du gouvernement de la Polynésie française. Le caractère archipélagique de notre territoire rend nécessaire la présence de l’école sur nos 118 îles. Cette présence a un coût, celui de classes à niveaux multiples accueillant parfois moins de dix enfants, celui de collèges de moins de 150 élèves avec des effets de seuil d’effectifs très défavorables en termes de moyens humains. Tel est le coût de la présence de l’école de la République dans le Pacifique.
Dans nos archipels éloignés, les enfants doivent quitter le noyau familial pendant plusieurs mois dès l’âge de huit ans pour suivre leur scolarité. Le gouvernement polynésien assure leur retour dans leurs familles lors des vacances scolaires et consacre donc au transport scolaire plus de 12 millions d’euros, couverts à hauteur de 30 % par une contribution de l’État. Engagée dans un vaste programme de réforme de son système éducatif, la Polynésie a toujours tenu à respecter les grandes orientations préconisées par le ministère de l’éducation nationale.
Tout cela a été possible non grâce à des moyens supplémentaires mais grâce au redéploiement des moyens humains affectés. Cependant, la Polynésie Française connaît depuis plusieurs années un ralentissement démographique réduisant ses effectifs scolaires. Or la prévision des effectifs d’élèves à la rentrée suivante, élaborée dans le cadre du dialogue de gestion annuel, sert de base de calcul aux moyens alloués à l’académie.
Pouvez-vous donc nous rassurer, monsieur le ministre, en nous indiquant que vos critères d’arbitrage dépasseront la logique de ratio des mathématiques financières et que – dans la continuité des Assises des outre-mer – vous tiendrez compte des spécificités locales de l’école en outre-mer et des efforts réalisés par chaque collectivité territoriale ?
Je reste convaincue que l’État, et en l’espèce le ministère de l’éducation nationale, doit rester un partenaire privilégié, incontournable et bienveillant pour les collectivités d’outre-mer afin de leur assurer un meilleur avenir par le biais d’une école plus juste. (Applaudissements sur les bancs du groupe LC et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.)
M. le président
La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale
Je vous remercie de votre question, madame la députée. Elle me permet de souligner à quel point le ministère de l’éducation nationale doit porter une attention particulière aux spécificités de l’outre-mer. Ma collègue Annick Girardin et moi-même faisons régulièrement le point sur la situation particulière de chaque territoire d’outre-mer afin d’adopter une approche qualitative plutôt que quantitative, comme vous le souhaitez.
Je suis donc parfaitement conscient des problèmes que vous venez d’évoquer, mais aussi des opportunités. En effet, l’école en Polynésie française présente un potentiel auquel nous devons être très attachés. La Polynésie française a décidé de s’inscrire dans une dynamique partenariale avec l’État. Nous partageons des priorités, notamment la réduction des inégalités et la réussite scolaire.
Comme vous l’avez rappelé, la concertation entre les services de mon ministère et ceux du gouvernement polynésien vient de s’achever. Je tiens donc à vous rassurer. Tout d’abord, la dotation globale de fonctionnement attribuée à l’enseignement du second degré sera préservée, à hauteur de 11,8 millions d’euros. Elle est destinée en premier lieu au financement des fonds sociaux, des emplois d’assistants d’éducation et des bourses, qui concernent 55 % des élèves polynésiens.
Par ailleurs, la dotation globale d’investissements immobilière est fixée à 2,5 millions d’euros par an en autorisations d’engagement et en crédits de paiement jusqu’à la fin de la législature. Cette garantie pour cinq ans est très importante car elle assure la prévisibilité des mises en constructions.
Enfin, le ralentissement démographique est une réalité. Nous préserverons donc les plafonds d’emplois afin de dégager des marges de manœuvre permettant de mener une politique qualitative visant à accompagner la Polynésie française dans les efforts qu’elle consent en vue de l’amélioration de son système éducatif. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM,
Bilan de la COP 23
M. le président
La parole est à M. Adrien Morenas, pour le groupe La République en marche.
M. Adrien Morenas
Monsieur le président, ma question s’adresse à M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. J’y associe ma collègue Yolaine de Courson. Après dix jours de discussions techniques, la Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques est finalement entrée dans sa phase politique avec la venue à Bonn d’une trentaine de chefs d’État et de gouvernement, dont notre Président de la République, Emmanuel Macron. À cette occasion, de nombreux sujets ont été exposés et de fortes annonces ont été faites.
M. Fabien Di Filippo
Historiques !
M. Adrien Morenas
Tout d’abord, les secours aux pays du Sud ont été abordés, notamment par l’Allemagne et la France, les deux moteurs de la construction européenne, les deux seuls pays européens à avoir dépêché le chef de leur exécutif à Bonn.
M. Aurélien Pradié
Historique !
M. Adrien Morenas
S’agissant du nécessaire soutien aux scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, dont les recherches sont menacées par la décision américaine de ne plus financer leur institution, la France a fait une déclaration aussi salutaire que courageuse. En outre, un dialogue franc et direct a été ouvert avec notre partenaire allemand sur la question du charbon, énergie hautement polluante et nocive pour la santé.
M. Aurélien Pradié
Bon courage !
M. Adrien Morenas
Monsieur le ministre, tandis que la COP 23 vient de s’achever, nous sommes à l’heure du bilan. Pouvez-vous procéder à un tour d’horizon des avancées réalisées à cette occasion ?
M. Fabien Di Filippo
Ça sera vite fait !
M. Adrien Morenas
Pouvez-vous exposer les nouvelles perspectives évoquées et rappeler la place prise par notre pays au cours de cette conférence, que nous espérons salutaire pour notre planète ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM.)
M. Aurélien Pradié
Audacieuse question !
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Fabien Di Filippo
Retardée !
M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire
Monsieur le député, je modérerai un peu votre enthousiasme. (« Ah ! » sur les bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits.) Pour être très franc, le bilan de la COP 23 est en demi-teinte. L’onde de choc provoquée par le retrait des États-Unis de ce processus se fait peut-être plus sentir maintenant que dans un premier temps. Je me garderai donc bien de tout optimisme excessif.
Il s’agit d’un bilan en demi-teinte disais-je. En effet, le rassemblement de la communauté internationale, pour la première fois depuis la décision des États-Unis, a certes démontré que la coalition demeure solide, mais a jeté le doute sur la détermination de certains États.
Nous ne pouvons pas nous résoudre à l’inaction. Attention ! Nous courons le danger, qui n’est pas négligeable, que la courbe de l’irréversible et celle du fatalisme se rejoignent. Je le dis en toute transparence.
Face à l’urgence, les progrès ont été trop lents, surtout au regard de l’alerte émise par les scientifiques, selon lesquels ce que nous déciderons de faire – ou pas – est déterminant pour l’avenir. Il faut donc accélérer le rythme d’action afin de répondre aux alertes lancées par les scientifiques.
La COP 23 a tout de même eu quelques résultats positifs. On y a vu les villes, les États fédérés et les entreprises américaines réaffirmer leur volonté de compenser la défection de Donald Trump. La France a annoncé – et c’est une bonne chose – qu’elle comblerait le déficit de financement du GIEC, car nous avons besoin de la boussole du GIEC.
Enfin, plus de trente pays ont bâti une coalition pour sortir du charbon. La France, dont le Plan climat prévoit la fermeture des dernières centrales à charbon d’ici à 2020, y a pris toute sa part.
Il faut maintenant aller bien plus vite, car nous menons une course contre la montre. La parole de vérité, nous l’entendrons lors de la COP 24 en Pologne. D’ici là, deux événements importants auront lieu : le sommet du 12 décembre à Paris sur le financement et le rendez-vous international organisé par le gouverneur de Californie début 2018 à Los Angeles. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM et MODEM.)
Difficultés des communes rurales
M. le président
La parole est à M. Jean-Marie Sermier, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean-Marie Sermier
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre, même si je sais qu’il est absent. La première victime de la politique menée à l’encontre des collectivités locales a un nom : elle s’appelle la ruralité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Les maires ruraux ne confondent pas un gel d’une année avec un effondrement sur plusieurs budgets.
Mme Émilie Bonnivard
Eh oui ! Soyez honnête !
M. Jean-Marie Sermier
Ils font la différence, eux qui gèrent de petits budgets, et voient les dizaines de milliers d’euros perdus chaque année. À cela s’ajoutent la réduction brutale du nombre de contrats aidés, la réforme de la taxe d’habitation… Ces coups portés aux collectivités frappent avec sévérité les communes rurales, déjà extrêmement fragilisées.
Pire, votre budget pour 2018 est profondément injuste pour les Français qui ne résident pas dans les métropoles. La réserve parlementaire, mes chers collègues, constituait une aide à l’ensemble des communes rurales. (Applaudissements sur les bancs des groupes LR et LC.)
Et c’est sans compter toutes les mesures de désengagement de l’État. Alors que les collectivités rurales sont exsangues, l’État se désengage de nos campagnes. Pourquoi s’opposer si durement à la ruralité, alors que le pays gagnerait au développement complémentaire de ses territoires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs du groupe LC.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur. (« Et de Lyon ! »sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Monsieur le député Jean-Marie Sermier, j’ai regardé votre parcours, et je dois dire qu’il vous a rendu sympathique à mes yeux.(Exclamations sur les bancs du groupe LR.) En effet, vous êtes un maire qui a agi pour son territoire.
M. Jean-Marie Sermier
J’étais un maire…
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Vous avez développé une série d’actions dans votre petite commune.
M. Thibault Bazin
Comme tous les maires !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Vous avez été élu maire de Dole ensuite, et ce que vous y avez réalisé était tout à fait exemplaire ! (Applaudissements et sourires sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs des groupes REM et GDR.)
C’est après que votre parcours, si je puis m’exprimer ainsi, se gâte… (Sourires sur tous les bancs.) Vous nous dites aujourd’hui : « Regardez votre budget, il réduit à la misère les petites communes ! »
M. Jean-Marie Sermier
Oui, c’est cela !
M. Gérard Collomb, ministre d’État
Mais à l’époque, le maire que vous étiez avait appelé – peut-être était-ce par inadvertance ? – à ce que vos collègues se prononcent pour un candidat qui proposait de supprimer 20 milliards d’euros de dépenses. Oui, les communes rurales auraient pu pleurer, et c’est tout le contraire que nous avons souhaité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM. –
M. Guy Teissier
Grotesque !
Mme Valérie Boyer
Lamentable !
M. Fabien Di Filippo
C’est minable ! Et vous vous levez pour ça !
Lutte contre les violences faites aux femmes
M. le président
La parole est à Mme Laëtitia Romeiro Dias, pour le groupe La République en marche.
Mme Laëtitia Romeiro Dias
Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes. La mort d’une femme sous les coups de son partenaire n’est pas l’affaire d’une femme, mais celle d’une société et d’un État. Une femme réduite au silence, c’est l’affaire de tous !
En France, chaque année, 216 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur partenaire actuel ou passé. Une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon. Ces chiffres sont relativement constants et ce, depuis de nombreuses années. Nous le regrettons parce qu’ils expriment une société où la violence entre les femmes et les hommes est encore trop grande, trop souvent tolérée sous le masque de la passion.
Madame la secrétaire d’État, je vous sais particulièrement attachée, tout comme moi, à la régression de ces chiffres, pour construire les bases d’une société apaisée et d’égalité entre les femmes et les hommes. Le 25 novembre, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le Président de la République, dont nous soutenons l’action, lancera officiellement la grande cause du quinquennat pour l’égalité femmes-hommes. Par ailleurs, nous savons qu’un projet de loi sur les violences sexistes et sexuelles est en cours d’élaboration, et nous saluons cette initiative.
Madame la secrétaire d’État, à l’heure où nous parlons, nos enfants, filles et garçons, sont quotidiennement exposés à des images, publicités, clips vidéo, et bien d’autres encore, qui objectivent la femme…
M. Thibault Bazin et Mme Émilie Bonnivard
Elle a raison !
Mme Laëtitia Romeiro Dias
…et participent à pérenniser l’inconscient collectif d’une société où la violence à l’égard des femmes est banalisée. Cette situation n’est plus tenable, elle n’est plus acceptable. C’est d’ailleurs le sens de cette vague de libération de la parole des victimes, notamment sur les réseaux sociaux.
Aussi ma question portera-t-elle plus généralement sur les aspects éducatifs et culturels des autres actions que le Gouvernement entend mener pour éradiquer ce phénomène des violences à l’égard des femmes, qui n’a que trop duré et qui est sans cesse légitimé par ce que l’on nomme communément la culture du viol. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM, MODEM et LC.)
M. le président
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes
« Certes, elle a été violée, mais après tout, que faisait-elle seule dans la rue en minijupe à 3 heures du matin ? » « Certes, cette femme est battue par son mari, mais après tout, qu’est-ce qui l’oblige à rentrer chez elle tous les soirs ? » « Certes, cette femme est harcelée au travail par son supérieur hiérarchique, mais pourquoi n’a-t-elle tout simplement pas dit ’’ non ’’ » ? Ces phrases, nous les avons toutes et tous entendues, au moins une fois. Et ces phrases qui banalisent, qui minimisent, qui excusent les violences faites aux femmes ne sont plus admissibles. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Il est temps que cesse cette banalisation que vous appelez, et que j’appelle également la culture du viol. Les femmes ne sont jamais responsables des violences qu’elles subissent. (Mêmes mouvements.)
Le Gouvernement ne pourra pas tout, tout seul, mais le gouvernement d’Édouard Philippe fait tout ce qui est en son pouvoir pour éradiquer les violences sexistes et sexuelles, avec la loi citoyenne que vous avez évoquée, et qui pourra être enrichie au-delà des consultations, avec la grande cause nationale du quinquennat du Président de la République, avec la campagne de communication qui sera diffusée à la télévision à partir du 25 novembre, en relais de celle que nous diffusons déjà sur les réseaux sociaux.
Cette campagne vise à qualifier les agressions sexuelles et les violences sexuelles pour ce qu’elles sont, à les nommer, sans parler de « frotteurs », de « mains aux fesses », ou de « crimes passionnels », termes qui les minimisent.
Nous créons également une page de géolocalisation des associations, car seulement 16 % des personnes ont le réflexe de faire appel à une association spécialisée. Il est de notre responsabilité de les faire mieux connaître. Enfin, nous poursuivons le Tour de France de l’égalité femmes-hommes. Je souhaite remercier à cette occasion les parlementaires qui organisent des ateliers, comme hier encore à Bruxelles.
Nous poursuivons la formation avec la mission interministérielle de protection des femmes. La ministre du travail a saisi les partenaires sociaux pour leur demander de prendre leurs responsabilités en ce qui concerne le harcèlement au travail. Enfin, et comme l’a indiqué le ministre de l’éducation nationale, nous luttons ensemble contre la pornographie à l’école. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM ainsi que sur quelques bancs des groupes LR et GDR.)
Situation des migrants en Libye
M. le président
La parole est à M. Serge Letchimy, pour le groupe Nouvelle Gauche.
M. Serge Letchimy
Monsieur le président, ma question s’adresse au Premier ministre. La mise en esclavage d’êtres humains en Libye est la pire des barbaries contemporaines que nous connaissions. Je voudrais vous faire partager mon émotion personnelle et saluer l’indignation de l’Assemblée nationale, de tous les groupes, face à un tel crime et un tel déni de la personne humaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes NG, GDR, REM, MODEM et sur plusieurs bancs du groupe
Mes chers collègues, la seule indignation suffit-elle ? Pas moins de 390 000 migrants sont bloqués en Libye, 9 000 sont privés de liberté. La France va en accueillir 25 en janvier.
Il est une exigence, que revendique la nation, le peuple : ce n’est pas seulement l’indignation, c’est la condamnation. Nous devons sans ambiguïté condamner ce trafic, car il faut aller beaucoup plus loin sur la question de l’accueil des migrants. Aucun accord, y compris avec la Libye, ne peut assumer de faire reposer la surveillance des frontières sud de l’Europe sur la violation des droits fondamentaux de tout être humain.(Applaudissements sur les bancs du groupe NG et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
Il est temps de mettre en place un système permanent et harmonisé d’accueil des migrants. Il est temps de consolider les partenariats migratoires en s’assurant de leur conformité aux principes fondamentaux de l’Union européenne, dont le premier reste et demeure le respect de la dignité humaine.
La situation démontre la limite de la stratégie des hotspots migratoires récemment mise en place.
Monsieur le Premier ministre, il faudrait relever considérablement l’aide de la France au co-développement pour en faire un signal extrêmement fort. Le 21 mai 2001, la France a reconnu l’esclavage comme un crime contre l’humanité.
Monsieur le Premier ministre, la France doit s’engager par une parole forte, des actes clairs ! La lutte contre l’esclavage moderne doit se poursuivre sans relâche, de sorte qu’aucun homme ne soit privé de sa liberté. (Applaudissements sur les bancs des groupes NG et GDR, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes REM et LC.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre chargée des affaires européennes.
Mme Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes
Monsieur le député, je comprends que, vous aussi, vous souhaitiez partager avec la représentation nationale votre indignation.
M. Serge Letchimy
Condamnation !
Mme Nathalie Loiseau, ministre
Que faire face à la situation des migrants en Libye ? Je le répète, nous devons faire en sorte que viennent en France ceux qui ont le plus grand besoin de protection, dans des conditions qui leur évitent le passage par un pays où l’État n’est pas en mesure de les protéger. C’est ce que nous commençons à faire, et c’est surtout ce que nous demandons à nos partenaires européens de nous aider à accomplir.
M. Olivier Faure
C’est de l’hypocrisie !
Mme Nathalie Loiseau, ministre
S’agissant des migrants économiques illégaux, devons-nous les faire venir en France, ou agir pour qu’ils puissent, en Afrique ou ailleurs dans le monde, avoir les moyens de trouver un emploi ?
M. Olivier Faure
Ce n’est pas la question !
Mme Nathalie Loiseau, ministre
Faut-il que les pays africains soient condamnés à perdre les plus jeunes, les plus courageux, les plus entreprenants et à les voir maltraités dans un pays comme la Libye ?
Vous avez appelé à la hausse de notre aide publique au développement et le Président de la République a pris des engagements en ce sens.
M. Olivier Faure
Vous avez fait l’inverse dans le budget ! Vous avez tout refusé !
Mme Nathalie Loiseau, ministre
Nous avons commencé à augmenter l’aide que nous apportons au HCR – Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés – et à l’Organisation internationale pour les migrations. Et nous avons triplé notre aide au fonds fiduciaire d’urgence qui s’adresse précisément aux pays subsahariens.
M. Olivier Faure
Est-ce suffisant, 10 millions d’euros ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre
Le fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne c’est 3 milliards d’euros à destination des pays subsahariens.
À Abidjan, à la fin de ce mois, le Président de la République sera présent dans ce dialogue entre l’Union européenne et l’Afrique, car c’est ensemble que nous devrons relever ce défi des migrations. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM.)
Lutte contre le harcèlement à l’école
M. le président
La parole est à M. Erwan Balanant, pour le groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
M. Erwan Balanant
Monsieur le ministre de l’éducation nationale, le mois de novembre a été marqué, hier, par la Journée mondiale de défense et de promotion des droits de l’enfant et, il y a dix jours, par la Journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire.
Le harcèlement scolaire affecte 10 % des élèves avec des conséquences dramatiques. La prégnance du harcèlement au sein de notre société est inquiétante. Harcèlement sexuel, moral, scolaire, de rue, ce phénomène omniprésent constitue un véritable fléau. Nous ne pouvons le tolérer et devons le combattre inlassablement. Le combattre, c’est commencer à sensibiliser, dès le plus jeune âge, notamment en renforçant les dispositifs de lutte contre le harcèlement scolaire.
Une prise de conscience, dès l’enfance, des dangers de ce phénomène permettrait non seulement d’améliorer les conditions de scolarité et de santé des élèves, mais également de responsabiliser les adultes de demain et, ainsi, d’agir pour une diminution générale des actes de harcèlement dans les décennies à venir.
Pour contrer efficacement le harcèlement scolaire, il est indispensable de s’intéresser au rôle clé que les nouvelles technologies jouent dans sa propagation. En effet, 40 % des élèves ont déjà subi une agression en ligne. À cet égard, l’utilisation de l’application Sarahah par les collégiens et lycéens se révèle particulièrement préoccupante. Initialement conçue pour une utilisation dans le cadre de l’entreprise, cette application permettant d’envoyer des messages anonymes a été dévoyée par des adolescents, en vue d’adresser à leurs camarades des messages d’une violence inouïe.
Monsieur le ministre, afin de renforcer la protection assurée aux victimes de harcèlement, notamment les mineurs, le Gouvernement envisage-t-il de permettre la signalisation des actes de cyber-harcèlement via la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements – PHAROS ?
Quelles mesures pourraient être mises en place afin d’améliorer cette plateforme, d’assurer un meilleur suivi des signalements et de renforcer la protection des victimes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et REM.).)
M. le président
La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale
Monsieur le député, merci pour votre question qui me permet d’aborder l’un des sujets les plus concrets, et malheureusement les plus récurrents, de notre système scolaire.
Le harcèlement est un phénomène que nous devons prendre très au sérieux. Chaque école, chaque classe, peut en effet être considérée comme une petite République, car ce qu’il s’y passe est souvent le reflet de la société. Ce phénomène n’est pas propre à la France mais ses développements sont, chez nous, comme ailleurs, fort inquiétants.
Il y a dix jours, à l’occasion de la Journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire, nous avons rappelé un certain nombre des mesures que nous allons prendre.
Avant de les détailler, je veux dire que tout ce que nous disons actuellement sur l’école primaire, le collège et le lycée fait partie de ce sujet. Lorsque nous parlons de lire, écrire, compter, respecter autrui, nous sommes dans une logique, celle du non-harcèlement.
D’une façon plus générale, l’école ne pourra progresser que si elle inverse les logiques qui ont trop souvent cours dans nos établissements, autrement dit la loi du plus fort. Nous voulons lui substituer la loi de l’intelligence, la loi de la science, la loi de la rationalité, la loi de ce qui protège le plus faible. C’est bien le sens, aussi, de nombreuses mesures que nous prenons, comme l’école inclusive.
Le harcèlement doit cesser. Nous devons changer de logique. C’est pourquoi j’ai appelé à un plus grand exercice de l’autorité dans le système éducatif, notamment par la réunion des conseils de discipline chaque fois que nécessaire. Nous accentuerons la formation des enseignants sur ce point, notamment parce qu’il n’y a pas de petit harcèlement. Chaque début de harcèlement par un élève doivent doit être signalé par tous les adultes du système éducatif. Rien n’est anodin en la matière. Il existe un numéro que tout le monde peut appeler, le 3020.
Quant à la plateforme PHAROS, je ne pense pas qu’elle soit adaptée car elle concerne bien davantage la lutte contre le terrorisme. Mais nous en créerons une et je dialoguerai avec les réseaux sociaux afin d’en finir avec ces insultes anonymes qui sont scandaleuses.(Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LC.)
M. le président
Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
M. le président
La séance est reprise.
2. Projet de loi de finances pour 2018
Vote solennel
M. le président
L’ordre du jour appelle les explications de vote au nom des groupes et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2018 (nos 235, 273, 264 rectifié et 266 rectifié).
Explications de vote
M. le président
Dans les explications de vote, la parole est à Mme Valérie Rabault, pour le groupe Nouvelle Gauche.
Mme Valérie Rabault
Monsieur le président, monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, mes chers collègues, vous vous apprêtez à voter le premier budget de votre législature et nous nous apprêtons à voter contre, tout simplement… (« Oh ! »sur quelques bancs du groupe REM.)
Première question : ce budget est-il un budget d’investissement pour l’avenir, comme s’y était engagé le Président de la République ? Nous devions avoir un grand plan d’investissement et un fonds d’investissement pour l’innovation de 10 milliards d’euros. Or, si l’on regarde en détail les crédits de paiement pour l’année 2018, en réalité, le fonds n’existe tout simplement pas – pas de fonds pour l’innovation ! – et le grand plan d’investissement, de 57 milliards sur le papier, s’élève pour l’année 2018 à moins de 2 milliards d’euros, l’un des montants les plus faibles de ces dix dernières années ! Sur l’investissement, monsieur le ministre, le compte n’y est pas.
Je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler quelques chiffres, mais tout de même : 103 millions d’euros pour la recherche dans le grand plan d’investissement, c’est faible, et beaucoup moins que les années précédentes. Zéro pour le plan Très Haut Débit en crédits de paiement pour l’année 2018. Or, le crédit de paiement, c’est l’argent sonnant et trébuchant investi sur une année : zéro, cela ne fait pas grand-chose ! Pour ce qui est des hôpitaux, alors que nous avions investi 2 milliards d’euros les années précédentes, vous y consacrez cette année moins de 300 millions d’euros. Quand on fait la somme de tout cela, on voit que le grand plan d’investissement fait « pschitt » ! Voilà pourquoi nous estimons, monsieur le ministre, que le compte n’y est pas. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe NG.)
Deuxième question : ce budget consolide-t-il la reprise de la croissance ? Vous bénéficiez en effet d’une croissance de 1,8 %, quand nous avions zéro en 2012 : ce n’est pas tout à fait le même contexte ! Si je me fie aux mesures que vous avez adoptées dans ce budget, vous avez supprimé la quatrième tranche de la taxe sur les salaires pour les très grandes entreprises. En revanche, vous avez raboté – sans jeu de mot – le taux réduit de l’impôt sur les sociétés pour 20 000 PME. Encore une fois, monsieur le ministre, le signal que vous envoyez au tissu des PME et des TPE françaises n’aide pas à consolider cette reprise.
Soutenir la reprise économique, cela signifie ne pas affaiblir le secteur du bâtiment. Alors là, nous avons été espantés par vos mesures ! Vous supprimez d’un trait de crayon 1,7 milliard d’euros pour le logement social, soit tout de même 10 % de ce que le secteur investit en une année, soit pour construire de nouveaux logements, soit pour effectuer des réparations. Quand on traduit ce chiffre non pas en milliards d’euros sonnants et trébuchants mais en nombre d’emplois, cela signifie que vous faites en train de faire disparaître entre 50 000 et 100 000 emplois dans le secteur du logement.
Soutenez-vous ou non la reprise ? À l’aune de cet exemple, la réponse est non. Je ne suis pas la seule à l’affirmer puisque même vos services le disent avec le modèle MESANGE – Modèle économétrique de simulation et d’analyse générale de l’économie –, ou encore l’OFCE – Observatoire français des conjonctures économiques –, selon qui, au total, la politique budgétaire aura un impact neutre sur la croissance du PIB en 2018. Nous voilà servis pour le soutien à la reprise économique !
Dernière question que je souhaite aborder : ce budget traduit-il un effort pour réduire les inégalités dans notre pays ? Je crains que la réponse ne soit clairement non. Vous baissez les impôts en net pour les 500 000 Français les plus aisés. En revanche, pour tous les autres, je vais dresser une petite liste de ce qui les attend. Première mesure : une augmentation de la fiscalité écologique. Pour un ménage se chauffant au fioul et roulant au diesel, il lui en coûtera 145 euros de plus rien que pour l’année 2018 ; et cela ne dépend pas du revenu des ménages concernés.
M. Thibault Bazin
Vous avez raison !
Mme Valérie Rabault
Deuxième mesure : la hausse de la CSG pour tous, mais avec un effet à taux plein pour les retraités. Troisième mesure : la suppression sans préavis de 250 000 emplois aidés, ce qui ne figurait pas dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron. Quatrième mesure, qui concerne les inégalités entre territoires : hier soir encore, lors d’un débat surréaliste, nous avons pu constater que vous soutenez les métropoles mais que les campagnes, vous les avez oubliées.
Mme Amélie de Montchalin
Mais non !
Mme Valérie Rabault
Pour ces trois raisons – pas de soutien à la croissance, pas d’investissement, pas de réduction des inégalités – nous voterons contre votre premier budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe NG.)
M. le président
La parole est à M. Éric Coquerel, pour le groupe La France insoumise.
M. Éric Coquerel
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous redoutions à l’entrée de ce débat une loi de finance inégale et austère. De ce point de vue vous avez battu des records !
Vous avez fixé un cadre : celui de la soumission aux diktats européens et à la règle des 3 % qui impose une austérité permanente aux États alors que la France a besoin d’investir dans les secteurs d’avenir qui correspondent aux besoins de sa population comme la transition écologique ou les services publics.
Vous avez amputé le budget du logement de 1,8 milliard d’euros et baissé les APL de 5 euros alors que la France a besoin d’un plan d’urgence pour répondre aux besoins des quatre millions de personnes mal logées dans ce pays ! Vous avez drastiquement baissé l’imposition des plus riches en sortant le capital mobilier de l’assiette de l’ISF alors que la France a besoin au contraire de faire contribuer le capital pour répondre à la crise sociale qui frappe notre pays ! Vous avez inventé la flat tax, véritable bouclier pour les revenus du capital alors que la France a besoin de retrouver une progressivité de l’impôt pour une plus grande justice fiscale ! C’est l’inverse de l’augmentation de la CSG.
Vous avez supprimé 280 000 contrats aidés, soit le plus grand plan de licenciements de l’État sous la Ve République alors que le taux de chômage avoisine les 10 % en France.
Vous avez encouragé l’ubérisation de l’emploi avec le développement du régime de la micro-entreprise alors que la France a besoin de personnels formés, qualifiés et qui ne travaillent pas dans une précarité digne du XIXe siècle. Vous avez renoncé à taxer le trading à haute fréquence alors que la France a besoin de mettre fin à ces pratiques spéculatives qui sont nocives pour l’économie. Vous avez engagé des coupes claires dans les budgets des services publics à hauteur de 15 milliards d’euros alors que la France a besoin de services publics performants pour faire face à l’urgence sociale, que les dépenses sociales participent à l’accroissement du PIB et que ce sont elles qui, depuis plusieurs années, ont permis de maintenir le feu de l’activité économique.
Vous avez voté la transformation du CICE en baisse de cotisations patronales alors que ce dispositif n’a eu aucun effet sur l’emploi, pour un coût vertigineux cumulé de plus de 100 milliards d’euros, argent qui aurait pu être utilisé dans un véritable plan de relance de l’activité.
Vous avez supprimé la dernière tranche de la taxe sur les salaires dans l’espoir illusoire d’attirer les banquiers et les financiers de la City dont le pays peut très bien se passer alors que vous vendez à l’encan nos derniers fleurons industriels – je pense notamment à Alstom.
Vous avez instauré un jour de carence dans la fonction publique et entamé la diminution du nombre de fonctionnaires alors que la France a besoin de toujours plus de serviteurs de l’État et de l’intérêt général travaillant dans des services publics solides, surtout en temps de crise. Santé, justice, sécurité, éducation, culture, services sociaux : on pourrait énumérer tous les services publics qui manquent de personnels.
Vous avez décidé de vendre 10 milliards d’euros de participations de l’État dans des secteurs stratégiques comme l’énergie – je pense à la vente récente de parts d’Engie – alors que la France a besoin de garder le contrôle de ses secteurs stratégiques au nom de notre souveraineté nationale et qu’en outre cela s’avère une très mauvaise affaire puisque les intérêts que vont rapporter ces fonds une fois placés seront moindres que la rente qu’ils nous rapportaient chaque année.
Vous avez annoncé un plan d’investissement de 56 milliards d’euros sur le quinquennat : finalement c’est moins de 24 milliards qui seront réellement injectés par le Gouvernement alors que la France a besoin d’un grand plan d’investissement de 100 milliards, notamment dans la transition énergétique.
Nous pourrions continuer à énumérer ainsi les méfaits de ce projet de loi de finances. Il constitue certes une excellente nouvelle pour la finance, pour les actionnaires et le MEDEF mais une très mauvaise pour l’activité économique et pour ceux, quasiment la totalité des Français, qui produisent des richesses et tirent une cordée rendue chaque année de plus en plus lourde du fait de la rente inutile du capital.
Ce projet de loi de finances ne rend pas service au pays. C’est la raison pour laquelle le groupe La France insoumise votera contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
M. le président
La parole est à M. Fabien Roussel, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Fabien Roussel
Monsieur le président, mes chers collègues, monsieur le ministre, ce budget et vos premières lois vont marquer durement la France. Jamais un gouvernement n’a fait autant de cadeaux aux plus riches et à la finance. Jamais il n’est allé aussi loin dans la casse de notre modèle social et des droits du travail. Ce programme de soumission totale aux injonctions de la Commission européenne et des marchés financiers est bien loin de répondre aux attentes des Français. En somme vous faites le pari que si on libère totalement la finance et si on favorise les plus riches, l’argent va naturellement redescendre, « ruisseler » vers l’économie réelle.
M. Stéphane Peu
C’est une tromperie !
M. Fabien Roussel
Mais ce modèle économique s’inscrit dans la veine des plus vieilles recettes libérales, mises en œuvre depuis plus de trente ans.
M. Sébastien Jumel
Adam Smith !
M. Fabien Roussel
Et pour les faire avaler, vous faites ce que le Prince Salina préconise dans Le Guépard : « tout changer pour que rien ne change ».
M. Sébastien Jumel
Exactement !
M. Fabien Roussel
Le monde de la banque et des affaires peut avoir le sourire au vu des cadeaux que vous lui faites : suppression de l’ISF et de la taxe sur les dividendes, baisse de l’impôt sur les sociétés, allégement de la taxe sur les transactions financières, taxation des revenus du capital au taux unique de 30 %, CICE et autres niches fiscales, soit plus de 40 milliards sans aucune contrepartie. Merci pour eux !
Vous prétendez, monsieur le ministre, augmenter le pouvoir d’achat par la hausse de quelques allocations, la baisse des cotisations sociales ou la suppression de la taxe d’habitation. Mais quand vous donnez un euro d’un côté, vous en reprenez aussitôt deux de l’autre. En effet, vous privez la Sécurité sociale de 4,5 milliards d’euros ! Vous amputez le budget du logement de 1,7 milliards d’euros ! Vous placez les collectivités sous tutelle et leur prélevez encore 13 milliards sur cinq ans malgré tous vos discours ! Sans oublier la fin brutale de 150 000 contrats aidés, la hausse de la CSG pour 7 millions de retraités, la baisse des APL ou de certaines allocations familiales ou de solidarité et sans compter la hausse annoncée des tarifs des mutuelles – 10 % pour 2018 –, celle du prix du gaz, de l’électricité, du tabac, de l’essence, du fioul.
Ce sont les Français, les travailleurs, les ouvriers, les salariés, du public comme du privé, qui vont trinquer, comme les retraités, les jeunes ainsi que nos services publics et nos communes. Pis encore, c’est notre modèle social, issu du Conseil national de la Résistance, que vous mettez en pièces.
C’est pour cette raison que les députés communistes ont décidé d’aller à la rencontre des Français et de multiplier les débats sur vos choix, aussi et surtout pour vous montrer qu’une autre voie est possible et faire briller l’étincelle de l’espoir.
Car l’argent existe dans notre pays, il coule même à flots pour certains, notamment souvent au large de nos côtes. La fraude et l’évasion fiscales, il faut le marteler, volent la France et les Français. Le manque à gagner est énorme : 60 à 80 milliards d’euros de rentrées fiscales en moins chaque année. C’est l’équivalent de notre déficit budgétaire.
Je regrette que vous ayez rejeté toutes nos propositions sur ce sujet. Prononcer la déchéance de la citoyenneté pour ceux qui trichent, c’est bien. Mais allez jusqu’au bout ! N’attendez pas l’Europe pour avancer. Faites sauter le verrou de Bercy ! Augmentez les moyens humains et technologiques contre la fraude fiscale, Mettez des « gendarmes » là où il y a des délinquants en col blanc. Exigez la transparence totale des banques et des cabinets financiers sur les montages d’optimisation fiscale.
Pour nous, le rôle du budget de la nation et de l’impôt, c’est d’abord de répondre aux besoins, de préparer l’avenir, de répartir les richesses pour que chacun puisse en bénéficier. D’où l’importance de la dépense publique. Au contraire, vous faites le choix de l’attaquer, de la dénoncer, pour ensuite mieux la réduire.
Nous pensons au contraire, comme de nombreux élus locaux de tous horizons, qu’il faut mettre fin aux économies dans nos écoles, nos hôpitaux, nos communes, nos associations. C’est là qu’il faut investir !
C’est cela un vrai budget pour la France ; un budget qui offre des perspectives à nos enfants et qui permet à tous de vivre dignement ; un budget qui place l’être humain et son bonheur au cœur de tous ses choix et qui relève aussi les défis écologiques. Beaucoup partagent cet espoir, celui de bâtir un nouveau modèle économique et social, plus juste, plus humain, plus généreux.
Vous pouvez compter sur nous pour faire grandir cette aspiration, mais certainement pas pour soutenir ce budget. Au final ce sont les Français qui jugeront.(Applaudissements sur les bancs des groupe GDR et FI ainsi que sur plusieurs bancs du groupe NG.)
M. le président
La parole est à Mme Amélie de Montchalin, pour le groupe La République en marche.
Mme Amélie de Montchalin
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, chers collègues, nous voici à la fin d’une première étape majeure, non seulement pour cette discussion budgétaire, mais aussi pour ce quinquennat.
Il y a un peu plus d’un mois, nous, les députés du groupe La République en marche, nous sommes engagés ici à ce que ce budget soit la traduction des réformes que nous portons, un outil au service de la transformation de notre pays.
Un outil d’abord au service d’un travail qui paie ; un outil au service de l’investissement, avec des budgets de l’éducation et de l’enseignement supérieur et de la recherche en hausse ; surtout un outil pour tous nos concitoyens, salariés ou employeurs, auto-entrepreneurs ou fonctionnaires, gérants ou employés de TPE-PME, handicapés ou âgés, étudiants ou écoliers, mais également, n’ayons pas peur de le dire, pour tous les investisseurs qui contribuent à l’activité.
Ce budget est un texte sincère. Il nous permettra de sortir, comme l’a confirmé la Commission européenne, pour la première fois depuis 2009, de la procédure de déficit excessif. Cela demande des ajustements, cela demande des choix, cela demande des efforts.
Nous les faisons…
Un député du groupe LR
Ce sont les Français qui les font !
Mme Amélie de Montchalin
…parce qu’il en va à la fois de notre devoir envers les générations futures et de notre crédibilité auprès de nos partenaires européens avec lesquels nous avons d’autres batailles à mener.
Des signaux positifs naissent déjà de ces premiers choix : la Commission européenne a fait état de perspectives positives pour notre économie, avec une croissance solide et un chômage en baisse. Cela ne peut que nous encourager à continuer.
M. Fabien Di Filippo
Rappelez Hollande !
Mme Amélie de Montchalin
Nous sommes restés fidèles à nos engagements de soutenir l’activité et l’investissement, de libérer et protéger. Nous avons conscience de la défiance d’une partie de nos concitoyens vis-à-vis des responsables politiques qui trop souvent ont changé de cap au gré des difficultés, et une fois élus, ont oublié de tenir leurs engagements.
M. David Habib
Il était où Macron avant ?
Mme Amélie de Montchalin
Par ce budget, nous faisons ce que nous avions dit que nous ferions. Nous tenons nos promesses. (Applaudissements sur les bancs du groupe REM.)
Ce respect signifie aussi écoute. C’est la raison pour laquelle, tout en suivant la feuille de route fixée par le Président de la République et son gouvernement, nous avons, dans une logique de co-construction, procédé à des enrichissements du PLF. (Protestations sur les bancs du groupe GDR.) Notre groupe a été à l’initiative de plusieurs amendements : en matière de fiscalité du capital, pour réduire la fiscalité des plus-values professionnelles ; en matière environnementale, pour préserver et augmenter le crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique ; en faveur des collectivités territoriales…
M. Ugo Bernalicis
Pour Lyon !
Mme Amélie de Montchalin
…pour mieux cibler les dotations vers les collectivités qui en ont le plus besoin (Exclamations sur les bancs des groupes NG, GDR et LR) et pour contractualiser en appelant à la responsabilité les 319 collectivités les plus importantes. Nous lançons l’expérimentation des emplois francs. Nous luttons contre la fraude fiscale la plus grave.
Ce sont plus de 300 amendements qui ont été adoptés au cours de cette discussion budgétaire. Tous ne viennent pas de la majorité : nombreux sont ceux qui viennent de nos oppositions (Exclamations sur les bancs LR) car nous savons que nous n’avons pas le monopole des idées et que la transformation aura lieu grâce à l’intelligence et l’action de tous.
M. Thibault Bazin
Répétez-le !
Mme Amélie de Montchalin
Maintenir notre cap tout en étant à l’écoute de nos concitoyens, libérer les initiatives et l’investissement tout en protégeant les acteurs, restaurer la sincérité de notre budget tout en défendant une répartition plus juste de la contribution de chacun : telles ont été nos boussoles dans ce premier parcours budgétaire.
Je vous invite à poursuivre le chemin que nous avons ouvert…
Plusieurs députés du groupe LR
Oh ! merci !
Mme Amélie de Montchalin
…parce qu’il ne portera réellement ses fruits que si nous le suivons collectivement et durablement. Je vous appelle donc à voter, avec l’ensemble des députés du groupe La République en marche, en faveur de ce budget. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.)
M. le président
Sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2018, le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Véronique Louwagie, pour le groupe Les Républicains.
Mme Véronique Louwagie
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, au-delà de la baisse du budget du logement de 1,5 milliard d’euros, votre projet de loi est un concentré de mesures particulièrement hostiles au logement.
Un député du groupe LR
Eh oui !
Mme Véronique Louwagie
C’est même une aberration quand on connaît les difficultés qu’éprouvent aujourd’hui de nombreux Français pour se loger dignement. C’est également un non-sens économique quand on sait que le bâtiment et l’artisanat sont des secteurs particulièrement créateurs d’emplois non délocalisables. On le sait tous, nous le disons tous lorsque nous répétons l’adage : « Quand le bâtiment va, tout va ».
M. Jean-Luc Reitzer
Absolument ! Elle a raison !
Mme Véronique Louwagie
La création de logements témoigne de la vitalité d’une économie. Or, vos mesures d’économie aveugles et injustes dans ce secteur menacent d’enrailler ce cycle vertueux dont notre pays aurait pourtant bien besoin.
Cet été, vous avez baissé les APL de 5 euros par mois pour 6,5 millions de bénéficiaires. Ce coup de rabot budgétaire décidé par Bercy s’est fait au détriment des Français les plus modestes.
Un député du groupe LR
Il a été imposé par l’Élysée !
Mme Véronique Louwagie
Vous nous demandez de voter désormais une baisse des APL de 60 euros en moyenne dans le logement social. Vous imposez dans le même temps aux bailleurs sociaux d’absorber cette baisse, ce qui va couler littéralement bon nombre d’entre eux – en particulier les plus petits acteurs – et pousser tous les autres à réduire leurs investissements dans la construction ou la rénovation de logements. Vous nous demandez de supprimer le dispositif de l’APL accession, ce qui aura pour conséquence directe de pénaliser 100 000 ménages sur l’ensemble du quinquennat.
Vous nous demandez par ailleurs de voter une restriction du dispositif Pinel ou du prêt à taux zéro qui va exclure, de manière totalement injuste, 95 % du territoire français de ces aides. (Murmures sur de nombreux bancs).
M. Thibault Bazin
Monsieur le président ! Imposez le silence !
Mme Véronique Louwagie
Alors que de nombreuses petites communes et des villes de taille intermédiaire pouvaient profiter du dispositif Pinel sur dérogation préfectorale, ce ne sera désormais plus possible. Finalement, vous abandonnez les territoires ruraux !
Un député du groupe LR
Elle a raison !
Mme Véronique Louwagie
Cette nouvelle restriction géographique est injuste en termes d’aménagement du territoire. Votre restriction du PTZ empêchera de nombreux Français d’accéder à la propriété, notamment, de nombreux foyers modestes. (Bruits de conversation sur de nombreux bancs.)
Or, dans deux ans, après le 31 décembre 2019, le PTZ dans le neuf sera limité aux seuls résidents des grandes villes où un immobilier très coûteux rend impossible pour les ouvriers, les employés et de nombreuses classes moyennes d’accéder à la propriété. (Bruit persistant dans les travées.)
M. le président
Je vous demande un instant, madame Louwagie.
Mes chers collègues, je vous prie d’entrer dans l’hémicycle en silence (Applaudissements sur les bancs des groupes LR, LC et GDR). Je tiens à préciser que cela s’applique en toutes circonstances, quel que soit l’orateur ou l’oratrice et quel que soit le groupe auquel il appartient.
Je vois un certain nombre de députés qui me font des signes en ce sens : je les invite à faire preuve du même respect lorsque d’autres orateurs ou oratrices s’expriment, comme tout à l’heure lors des questions au Gouvernement (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.)
Madame Louwagie, je vous invite à poursuivre, étant entendu que le temps que je viens de prendre ne sera pas décompté sur les cinq minutes dont vous disposez.
Mme Véronique Louwagie
Je vous en remercie, monsieur le président.
M. Philippe Vigier
Le président est grand ! (Sourires).
Mme Véronique Louwagie
Je poursuis donc et reprends.
Comme je le disais, dans deux ans, après le 31 décembre 2019, le PTZ dans le neuf sera limité aux seuls résidents des grandes villes où un immobilier très coûteux rend impossible pour les ouvriers, les employés et de nombreuses classes moyennes d’accéder à la propriété. En fait, ces choix se font au détriment du monde rural, au détriment de nos territoires ruraux, au détriment des périphéries et des villes moyennes, qui sont totalement oubliés par votre politique.
Enfin, vous excluez progressivement l’isolation des portes et des fenêtres du crédit d’impôt transition énergétique alors qu’il permettait de réaliser de réelles économies d’énergie tout en améliorant le pouvoir d’achat des ménages et en contribuant à assurer le carnet de commandes des artisans.
M. Marc Le Fur
Exactement !
Mme Véronique Louwagie
Mais nos griefs envers votre budget ne se limitent pas à ces mesures anti-logement.
En effet, après avoir supprimé la réserve parlementaire pour des raisons démagogiques, vous nous aviez promis cet été d’ouvrir une ligne budgétaire pour compenser la perte financière que cela représente pour les associations et les communes. Or, vous proposez 25 millions d’euros par an aux associations là où elles recevaient 50 millions et vous proposez 50 millions aux collectivités là où elles recevaient 100 millions. Finalement, vous amputez ainsi de moitié les aides dont bénéficiaient les associations locales et les petites communes, aides que vous aviez pourtant promis de leur restituer ! C’est autant d’investissements, de projets sportifs, de projets caritatifs, de projets culturels, de projets environnementaux qui seront abandonnés demain par votre faute.
Pour les entreprises, le bilan n’est pas plus glorieux.
Vous vantez un budget pro-entreprise mais celui-ci alourdira en réalité le coût du travail pour ces dernières, ce qui risque de les dissuader d’embaucher. La diminution du taux du CICE de 7 % à 6 % contribuera à alourdir le coût du travail de 3,2 milliards d’euros.
Par ailleurs, comment accepter que le ministre de l’intérieur profite de sa position pour faire adopter un amendement totalement dérogatoire au bénéfice de sa seule métropole lyonnaise ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs du groupe NG.)
M. Thibault Bazin
C’est scandaleux !
Mme Véronique Louwagie
Au-delà de la manœuvre politicienne, au-delà des arrangements entre amis – ce qui est absolument insupportable – et alors que la majorité entend changer les comportements des hommes politiques, ce vote inique constitue une rupture d’égalité inadmissible. Cet amendement est indigne du Gouvernement et de notre assemblée.
M. le président
Je vous remercie de bien vouloir conclure, madame la députée.
Mme Véronique Louwagie
Je termine, monsieur le président.
Dans ces conditions, les députés Les Républicains voteront contre ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Noël Barrot, pour le groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
M. Jean-Noël Barrot
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, sans surprise, le groupe MODEM votera ce projet de loi finances.
Nous le voterons car il traduit l’engagement que nous avons pris devant les Français, aux côtés du Président de la République, du Gouvernement et de nos collègues de la République en Marche. Nous le voterons car il a été conçu dans un esprit de sincérité et de responsabilité, car il permet à la France de sortir enfin de la procédure de déficit excessif et de retrouver sa place dans le concert des nations. Le retour de la croissance doit nous conduire à amplifier nos efforts en matière de réduction des déficits publics.
Nous voterons ce budget car il revalorise le travail et qu’il soutient le pouvoir d’achat des actifs. Tous les salariés verront leur rémunération augmenter cette année. Quatre Français sur cinq seront exonérés de la taxe d’habitation d’ici à trois ans et les plus fragiles seront protégés par la revalorisation du minimum vieillesse, de l’allocation adulte handicapé et de la prime d’activité.
Nous le voterons, enfin, car il engage aussi les grandes transformations dont notre pays a besoin : transformation écologique avec la taxe carbone et avec la refonte du CITE, le crédit d’impôt transition énergétique ; transformation économique avec la réforme de la fiscalité de l’épargne et celle de l’impôt sur les sociétés.
Aujourd’hui, nous dessinons les contours d’une France à la fois plus juste et plus efficace ; nous engageons le pays sur la voie d’une prospérité retrouvée tout en donnant à chacune et à chacun la possibilité d’en cueillir les fruits ; nous posons les fondations d’une société ouverte, créative et fraternelle.
Il faut saluer la ténacité et l’endurance du rapporteur général et des ministres, ici même, pendant ces deux mois. Certes, vous n’avez pas donné que des avis favorables à nos propositions, loin de là. Nous aurions voulu aller parfois plus loin, parfois moins loin que vous. Nous aurions voulu que l’épargne soit plus directement fléchée vers les entreprises. Nous aurions voulu lisser les effets de seuil de la hausse de la CSG pour les retraités modestes. Nous aurions voulu envoyer des signaux en direction des familles mais, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, vous n’êtes pas restés sourds aux appels des députés du groupe MODEM et apparentés ! Sur le CITE, sur les associations, sur l’IR-PME – la réduction d’impôt au titre des souscriptions en numéraire au capital des PME non cotées –, sur les dispositions touchant aux territoires, que ce soit avec l’ANRU – Agence nationale de la rénovation urbaine –, les zones de revitalisation rurales - ZRR –, les villes nouvelles ou le commerce des centres-villes, par exemple, le texte a été perfectionné.
Mes chers collègues, nos débats parfois houleux se sont souvent réduits à des questions de chiffrage. Cela nous oblige à un renouvellement de nos pratiques. Je pense que, sur tous les bancs, nous aspirons à disposer d’outils spécifiques pour mesurer l’impact des choix budgétaires que nous examinons et des amendements que nous votons. Cette capacité d’analyse et de contre-expertise dont nous devons nous doter est indispensable pour améliorer et apaiser nos débats…
Mme Valérie Rabault
Très bien !
M. Jean-Noël Barrot
…et pour éviter de devoir trouver en grande hâte des milliards d’euros pour réparer les erreurs passées, comme nous l’avons fait la semaine dernière. Le temps est venu de moderniser nos outils d’évaluation.
De même, il est temps d’en finir avec l’habitude de négliger les semaines de contrôle et d’expédier la loi de règlement. Réformons le temps législatif pour que ce Parlement, cette assemblée assument pleinement leur rôle de contrôle du Gouvernement dans une dialectique fructueuse, pour qu’après le long automne budgétaire vienne enfin le printemps du contrôle ! La qualité de nos lois de finances en sera renforcée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM.)
M. Joël Giraud, rapporteur général
Très bien !
M. Jean-Noël Barrot
Peut-être faudra-t-il saisir l’occasion de la révision constitutionnelle pour moderniser l’évaluation et le contrôle : c’est le mandat que vous nous avez confié, monsieur le président, à travers les sept groupes de travail transpartisans, qui rendront leurs conclusions au mois de décembre.
Mes chers collègues, notre projet pour la France ne s’arrête pas avec le vote solennel de ce budget en première lecture. Nous devrons poursuivre la réforme de notre politique pour le logement. Alors que le dialogue avec les bailleurs sociaux se poursuit, ne perdons pas de vue que quatre millions de personnes sont mal logées en France et qu’il reste beaucoup à faire !
Nous devrons parachever la transformation économique du pays. Vous avez choisi, monsieur le ministre, d’associer les parlementaires très en amont des futurs projets de lois sur le droit à l’erreur et le développement des entreprises, et je m’en félicite.
Nous devrons poursuivre la rénovation du lien de l’État avec les territoires et les collectivités qui les administrent grâce à l’effort de concertation mené dans le cadre de la conférence nationale des territoires.
Nous devrons enfin aller au bout de notre ambition pour une France plus solidaire et fraternelle. Prenons ce risque-là, car les Français y aspirent. Je pense à notre politique d’asile et d’intégration, qui doit être rationalisée et renforcée. Je pense à l’aide de la France au développement, qui doit être amplifiée. Je pense à notre modèle d’engagement social et associatif, qui doit être refondé. Nous ferons des propositions au printemps en ce sens.
M. Jean-Luc Reitzer
Avec quel argent ?
M. Jean-Noël Barrot
Avec les yeux rivés sur cet horizon et au nom de l’ambition que nous avons pour la France, nous voterons ce budget pour que les utopies d’aujourd’hui soient enfin les réalités de demain ! (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et REM.)
M. le président
La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe Les Constructifs : républicains, UDI, indépendants.
M. Philippe Vigier
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, chers collègues, avec l’adoption de ce premier projet de loi de finances de la législature, nous aurions dû célébrer aujourd’hui l’avènement du « nouveau monde ».
M. Patrick Hetzel
Excellent !
M. Philippe Vigier
Nous nous attendions à nous prononcer sur un budget fixant un cap pour la France, opposant à la tentation du déclin et au confort de l’immobilisme la volonté de réformes courageuses, justes et efficaces. Toutes les conditions étaient en effet réunies pour que cette majorité y parvienne, toutes ! Les Français, épuisés par les changements de cap incessants, écœurés par les postures politiciennes, y étaient prêts !
Pour impulser le changement annoncé, vous pouviez compter sur une majorité écrasante mais aussi sur des hommes et des femmes de bonne volonté qui, comme nous, se sont affranchis des considérations partisanes et sont prêts à œuvrer avec vous en faveur de l’intérêt général.
Enfin, sur le front économique, vous disposez d’un environnement favorable : la croissance est de retour, les taux d’intérêt sont incroyablement bas, la menace déflationniste disparaît, le taux de marge des entreprises s’améliore et le chômage commence à diminuer.
Pourtant, en dépit de cet alignement des planètes, cette loi de finances nous laisse un arrière-goût d’inachevé, comme si l’ancien et le nouveau monde continuaient de cohabiter dans ce budget.
M. Laurent Furst
Très bien !
M. Philippe Vigier
Certes, je salue la volonté du Gouvernement de faire de la stabilité fiscale la pierre angulaire de cette loi de finances, tout comme nous saluons la crédibilité de vos prévisions budgétaires. La censure de la taxe à 3 % sur les dividendes faisait peser une épée de Damoclès sur nos finances publiques mais vous y avez apporté une réponse rapide, même si ce n’est pas celle que notre groupe aurait souhaité et préconisait.
Nous soutenons, monsieur le ministre, votre choix résolu en faveur de la compétitivité avec la baisse de l’impôt sur les sociétés, la mise en place de la « flat tax », la transformation de l’ISF, la transformation du CICE en baisse des charges.
Cela étant, pour transformer la France en profondeur, il aurait fallu davantage que l’addition de mesures en faveur de nos entreprises ou que la réforme du marché du travail. Il aurait fallu engager une vraie réforme de l’État, donner plus d’autonomie à nos collectivités territoriales et lutter contre la centralisation excessive de la décision publique.
M. Raphaël Schellenberger
Très bien !
M. Philippe Vigier
Il aurait également fallu renforcer nos dispositifs de solidarité en modernisant en profondeur notre protection sociale. Enfin, il aurait fallu opérer un basculement irréversible vers un modèle de croissance plus respectueux de l’homme et des ressources naturelles. Or cette promesse de transformation en profondeur n’est pas tenue. J’en veux pour preuve que vous ne prévoyiez aucune réforme d’envergure sur le périmètre d’intervention de l’État. Oui, les budgets de la défense, de la sécurité et de la justice augmentent. Oui, le jour de carence dans la fonction publique est rétabli, mais seuls 1 600 postes sont supprimés – c’est le niveau le plus faible depuis dix ans !
Cette inaction a une conséquence : les dépenses fiscales augmentent pour atteindre 100 milliards d’euros et le déficit augmente de 6 milliards pour la seule année 2018. Vous atteignez les fameux 3 % mais vous savez, monsieur le ministre, que vous ne devez ce résultat qu’aux administrations de Sécurité sociale qui, elles, sont excédentaires de 0,5 %. Vous procédez à des coups de rabot sans vision d’ensemble, comme dans le secteur du logement, même si j’ai noté un premier recul salutaire dans ce domaine.
Enfin, les 13 milliards d’euros qui sont retirés aux collectivités territoriales représentent un danger pour la cohésion sociale. Le Président de la République et le Premier ministre sont d’ailleurs en train de déployer des trésors de diplomatie au congrès de l’Association des maires de France pour que la confiance avec ces collectivités soit enfin rétablie.
M. Thierry Benoit
En effet !
M. Philippe Vigier
Monsieur le ministre, vous avez proposé la suppression de la taxe d’habitation, mais vous savez très bien que celle-ci se traduira, tôt ou tard, par une augmentation des impôts locaux.
M. Maurice Leroy
Eh oui !
M. Philippe Vigier
Nous vous avions pourtant proposé une autre voie pour améliorer le pouvoir d’achat des ménages, à savoir la baisse de l’impôt sur le revenu et le lancement d’une réflexion sur un nouvel impôt local plus juste. Nous mesurerons par ailleurs, dans quelques mois, les conséquences de la suppression de la réserve parlementaire.
M. Guy Teissier
Absolument !
M. Philippe Vigier
Ce budget, enfin, est entaché d’une faute lourde, la hausse de la CSG, qui pénalisera les retraités et les fonctionnaires.
M. Gérald Darmanin, ministre
Cette disposition figure dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale !
M. Philippe Vigier
C’est une divergence importante entre nous. Vous le savez bien, monsieur le ministre, puisque vous avez en son temps défendu avec moi, et avec d’autres, l’augmentation de la TVA, avec la TVA compétitivité, qui présentait l’avantage de taxer les importations et donc de mieux protéger nos entreprises.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris…
Mme Valérie Rabault
Non, nous n’avons pas compris, justement !
M. Philippe Vigier
…le « nouveau monde », celui d’une France profondément transformée, ne se décrète pas. Il ne pourra pas se bâtir, monsieur le ministre, contre ceux qui, comme nous, vous ont tendu la main et ont plaidé pour plus de justice sociale, pour faire davantage confiance aux territoires et aux forces vives, et pour mieux préparer l’avenir. Vous ne l’avez pas suffisamment fait. Aussi, la majorité de notre groupe Les Constructifs : républicains, UDI, indépendants s’abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe LC – « Oh ! » sur les bancs du groupe NG et sur quelques bancs du groupe LR.)
M. le président
Avant de mettre aux voix le projet de loi de finances, et afin de laisser le temps à certains collègues de rejoindre leur place, je tiens à vous informer que notre assemblée a consacré plus de cent cinquante et une heure et trente-huit minutes à l’examen du projet de loi de finances pour 2018 et qu’elle a examiné plus de 2 500 amendements, dont 333 ont été adoptés.
Vote sur l’ensemble
M. le président
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi de finances pour 2018.
(Il est procédé au scrutin.)
(Le projet de loi est adopté.)
(Mmes et MM. les députés des groupes La République en marche et MODEM se lèvent et applaudissent.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures quinze, sous la présidence de M. Hugues Renson.)
Présidence de M. Hugues Renson
vice-président
M. le président
La séance est reprise.
3. Renforcement du dialogue social
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi no 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (nos 237, 369).
Présentation
M. le président
La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, « Il y a l’avenir qui se fait et l’avenir qu’on fait. L’avenir réel se compose des deux. », écrivait le philosophe Alain.
« L’avenir qui se fait » : nous percevons d’ores et déjà l’ampleur de mutations profondes, qu’il s’agisse du défi écologique planétaire et de ses conséquences humaines, de l’accélération de l’internationalisation des échanges ou des révolutions technologiques, qui sont sans précédent en ampleur et en rapidité ; mais c’est aussi l’évolution profonde vers la société de la connaissance et de l’innovation, avec une aspiration à un accroissement des libertés individuelles.
« L’avenir qu’on fait » consiste à trouver tous les leviers possibles pour saisir les opportunités de « l’avenir qui se fait », afin que « l’avenir réel » corresponde à nos attentes. Cette affirmation sous-entend deux impératifs : le premier est de croire viscéralement en la capacité du « nous » – prononcés à l’Assemblée nationale, ces mots prennent un sens particulièrement fort –, c’est-à-dire croire en l’intelligence collective et en sa capacité à trouver des solutions adaptées ; d’autre part, cela suppose d’adopter une démarche proactive, pragmatique et de responsabilisation des acteurs face aux enjeux. Ces deux impératifs constituent les fondements tant de la méthode que des orientations des réformes annoncées par le Président de la République et conduites par le Gouvernement pour transformer profondément notre modèle social, afin que l’idéal républicain d’émancipation sur lequel il repose puisse être, face aux défis d’aujourd’hui et de demain, une réalité pour tous.
C’est le sens des ordonnances relatives au code du travail qui nous réunissent à nouveau aujourd’hui. C’est également le sens de l’investissement massif et sans précédent que nous allons faire dans les compétences à travers le Plan d’investissement compétences, doté de 15 milliards d’euros sur cinq ans. C’est le sens de la réforme de la formation professionnelle, de celle de l’apprentissage et de celle de l’assurance chômage, qui feront l’objet au printemps d’un projet de loi relatif à la sécurisation des parcours professionnels, que j’aurai l’honneur de vous présenter. C’est, enfin, l’esprit de la réforme des retraites que mènera ma collègue Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, et, plus largement, de l’action du Gouvernement en faveur du pouvoir d’achat et de la baisse du coût du travail.
C’est la synergie entre toutes ces transformations qui permettra de faire diminuer durablement le chômage et la précarité, tout en libérant l’énergie et la capacité d’initiative des entreprises comme des salariés. Créer les conditions de cette convergence de la performance économique et du progrès social, tel est le sens de notre action en tant que responsables politiques. Cette action repose sur une conviction profonde, confirmée par l’expérience : si le but d’une entreprise est d’avoir une croissance durable, il ne peut se réaliser qu’avec des salariés motivés et formés, et le chômage ne peut reculer durablement qu’avec des entreprises conquérantes et en bonne santé.
Autrement dit, la réussite pérenne de nos entreprises tient à la dynamique des marchés et à des éléments exogènes qui les sécurisent et leur donne confiance dans l’avenir, mais elle est aussi intrinsèquement liée à leur capacité à développer un dialogue social de qualité, dans lequel les salariés peuvent avoir leur mot à dire, peuvent pleinement s’exprimer, notamment à travers leurs représentants élus et les organisations syndicales.
Il y a un peu plus de trois mois, au terme de plus de 80 heures de discussion et à une très large majorité – 421 voix –, vous avez ici même, mesdames, messieurs les députés, habilité le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures nécessaires au renforcement de ce dialogue social, c’est-à-dire à prendre les mesures nécessaires pour créer les conditions d’un dialogue social structuré, lisible et plus décentralisé, offrant plus d’agilité et de sécurité tant aux employeurs qu’aux salariés et à leurs représentants. Ceux-ci seront, dans ce cadre équilibré, des acteurs responsabilisés, davantage formés et mieux armés pour envisager l’avenir avec confiance.
Ces ordonnances ont été publiées au Journal officiel le 23 septembre dernier. Elles sont, je l’ai dit, le fruit de la démocratie politique et, vous le savez, celui de la démocratie sociale : elles font suite à une concertation intense de plus de 300 heures avec les partenaires sociaux. Ces ordonnances permettent l’entrée en vigueur immédiate des dispositions ambitieuses qu’elles contiennent, mais elles amorcent aussi dès à présent le changement de mentalités qu’elles supposent et visent à encourager. En effet, conformément au débat de fond que nous avions eu, les ordonnances transforment, à travers le droit, l’esprit du code du travail.
Je tiens à le réaffirmer solennellement : la loi est et demeurera le cadre dans lequel la négociation de branche et d’entreprise se déploiera. Mais c’est désormais la négociation qui déterminera les règles de fonctionnement dans l’entreprise et dans la branche. Comme vous le savez, cette nouvelle articulation entre la loi, l’accord de branche et l’accord d’entreprise repose sur un système supplétif qui constitue un filet de sécurité pragmatique : faute d’accord d’entreprise, c’est l’accord de branche qui s’applique ; faute d’accord de branche, c’est la loi. Et, dans certains domaines, comme les salaires minima hiérarchiques, les grilles de classification, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou la prévoyance, cela ne peut être que l’accord de branche.
En outre, la branche professionnelle a un pouvoir de verrou en décidant qu’un accord d’entreprise devra respecter au minimum ses stipulations, dans quatre domaines.
Premier domaine : la gestion et la qualité de l’emploi. C’est une nouvelle compétence des branches. Celles-ci garantiront, par exemple, à tous les salariés handicapés de la branche, les mêmes droits et garanties, qui devront être supérieurs à ceux que prévoit la loi. Un rôle central est ici dévolu à la branche, car l’insuffisance actuelle de la négociation sur ce point explique en partie pourquoi les entreprises n’emploient que 3,3 % de salariés handicapés, alors que notre objectif est d’atteindre 6 %. Il est temps de convenir que nous sommes tous responsables de cette situation.
La branche pourra verrouiller trois autres domaines : la prévention en termes de risques professionnels – sujet majeur –, les primes pour travaux dangereux ou insalubres et la valorisation du parcours syndical. Ce dernier point, lui aussi nouveau, est essentiel, car ce sont les syndicats qui sont amenés en premier lieu à négocier les accords. Valoriser les engagements de ce type et les compétences nouvelles qu’ils permettent d’acquérir est capital, notamment pour attirer les jeunes générations vers les mandats syndicaux.
Ce pragmatisme, c’est aussi, comme nous nous y étions engagés, la nécessaire prise en compte de la spécificité des très petites, petites et moyennes entreprises, les TPE-PME, qui emploient – c’est un fait majeur – 55 % des 18 millions de salariés du secteur privé et recèlent la plus grande dynamique en termes d’emploi. Les TPE-PME sont la priorité des ordonnances, et c’est une première pour une réforme du code du travail.
En sillonnant la France depuis la publication des ordonnances – j’ai rencontré plus de 3 000 chefs d’entreprise, et mon équipe et moi-même, plus de 5 000 directeurs des ressources humaines –, j’ai déjà pu constater l’effet psychologique réel produit par les ordonnances sur les PME. De nombreux chefs d’entreprise témoignent de leur confiance nouvelle pour embaucher grâce aux ordonnances, dans un contexte où les carnets de commande se remplissent et où la croissance repart et s’annonce robuste.
Ainsi, les accords de branche devront prévoir systématiquement les dispositions spécifiques aux TPE-PME, qui n’ont pas forcément les mêmes besoins ou les mêmes contraintes, notamment en matière d’organisation du travail.
Notre souci de répondre à la réalité des TPE-PME se traduit aussi, dans les ordonnances, par des modalités visant à renforcer le dialogue social. La négociation sera simple et accessible dans les entreprises de moins de 50 salariés. La priorité reste donnée, bien sûr, au délégué syndical, mais s’il n’y en a pas – c’est le cas dans 96 % des PME –, il y aura la possibilité de négocier sur tous les sujets – rémunération, temps de travail, organisation du travail –, soit directement avec un élu du personnel, soit, dans les entreprises de moins de 20 salariés, directement avec les salariés s’ils n’ont pas d’élu du personnel.
Ainsi, le nouveau système de consultation des salariés dans ces petites entreprises permettra d’éviter une procédure lourde, tout en garantissant une autonomie de jugement et une liberté de parole aux salariés, puisqu’il faudra que les deux tiers d’entre eux soient d’accord et que leurs délibérations se tiennent hors de la présence du chef d’entreprise. Ce dialogue informel existe dans de nombreuses entreprises de manière extrêmement positive ; il sera désormais sécurisé là où il existait, et encouragé là où il n’était pas pratiqué.
Par ailleurs, le dialogue social sera également simplifié, renforcé et rendu plus opérationnel dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés par la fusion des trois instances d’information et de consultation en une seule, le comité social et économique, le CSE, au sein duquel pourront être discutés tous les sujets économiques et sociaux, ainsi que toutes les interactions entre ces sujets. Nous en avons débattu très longuement : le délégué du personnel, le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – CHSCT – sont regroupés en maintenant, bien sûr, la personnalité morale du CSE, sa capacité d’ester en justice, sa capacité de recourir à l’expertise, ainsi que l’ensemble des compétences de ces trois instances.
Je tiens à souligner que toutes les entreprises pourront, si elles le souhaitent, se doter d’une commission santé, sécurité et conditions de travail. Celle-ci sera obligatoire dans les entreprises de plus de 300 salariés et dans les secteurs sensibles – cela a été l’un des apports significatifs du Parlement dans le cadre du projet de loi d’habilitation.
Comme indiqué pendant nos débats précédents, une étape supérieure pourra être franchie, par accord majoritaire, avec la mise en place d’un conseil d’entreprise, qui intégrera non seulement les fonctions d’information et de consultation revenant au représentant du personnel, mais aussi la fonction de négociation exercée par l’intermédiaire des délégués syndicaux. Vous avez d’ailleurs conforté cette ambition en adoptant, en commission, un amendement qui élargit les compétences de négociation des conseils d’entreprise à l’ensemble du champ des accords d’entreprise. Il sera intéressant de suivre l’évolution de ces conseils d’entreprise, car ils contribueront à instaurer la vision d’un dialogue social exigeant et co-constructif, puisqu’il existera des possibilités de codécision, notamment en matière d’égalité entre les femmes et les hommes et de formation professionnelle, mais aussi sur tout autre sujet défini par accord majoritaire.
Par ailleurs, toujours dans cet esprit de co-construction, nous avons instauré un dispositif de cofinancement des expertises exceptionnelles. Tout en préservant la capacité du CSE à recourir à des expertises, celui-ci permet de responsabiliser les parties et d’être plus exigeant sur le coût des expertises.
Outre les instances, en donnant plus de grain à moudre aux parties, les ordonnances créent une véritable incitation à un dialogue social de qualité, car la qualité du dialogue conditionnera l’ampleur de l’agilité des entreprises et des branches, ce qui responsabilisera les partenaires sociaux.
Dans les entreprises, cette souplesse tient également à l’extension des champs de négociation ouverts. Mais cette capacité d’anticiper et de s’adapter rapidement aux évolutions du marché à la hausse ou à la baisse ne leur sera accessible que si elles arrivent à conclure des accords majoritaires, par exemple sur le temps de travail, la rémunération ou la mobilité. C’est donc une mesure très puissante et très incitative au dialogue social. C’est pourquoi, dans ce même esprit, nous avons décidé d’avancer d’un an et demi le calendrier de la généralisation des accords d’entreprise majoritaires : celle-ci interviendra le 1er mai 2018.
Cette souplesse est également conditionnée par la réussite de la négociation entre les partenaires sociaux dans les branches. Ainsi, pour le recours au CDD, celles-ci établiront les règles spécifiques concernant la durée, le nombre de renouvellements et le délai de carence. De même, l’accord de branche conditionnera l’accès aux contrats de chantier, ce qui donnera une sécurité juridique importante aux entreprises qui souhaitent embaucher en CDI de chantier au lieu de multiplier les CDD, ainsi qu’aux salariés.
Dans ces conditions de sécurisation, nous pouvons avoir confiance en la négociation de branche pour trouver des compromis gagnant-gagnant entre salariés et entreprises, comme c’est le cas dans le périmètre actuel, plus restreint. Cette agilité permise par le dialogue social s’inscrit aussi dans le cadre juridique équilibré introduit par les ordonnances pour sécuriser les entreprises et les salariés.
Vos diverses interventions dans cet hémicycle lors de la discussion du projet de loi d’habilitation ont parfaitement montré que l’insécurité juridique, liée à notre enchevêtrement de normes peu lisibles, doublé d’une jurisprudence parfois inconstante, pénalise les entreprises, surtout les plus petites, et leurs salariés, mais aussi les demandeurs d’emploi, car ces difficultés constituent un frein psychologique redoutable à l’embauche, et un repoussoir pour les investissements étrangers. Pire encore, des droits, pourtant inscrits dans le code du travail, n’étaient pas réellement accessibles. En raison de dispositifs d’application rigides et trop complexes, ils étaient réduits à n’avoir qu’une valeur incantatoire. La deuxième partie du compte pénibilité en était symptomatique.
C’est pourquoi, comme nous nous y étions engagés, les dispositions soumises à votre ratification s’emploient à lever ces barrières, par le biais de plusieurs mesures de simplification et de clarification permettant davantage de transparence et d’équité. Ainsi, concernant la pénibilité, il ne s’agit nullement de baisser la garde. Les dix critères sont maintenus, avec des mesures de prévention et de réparation adaptées à chacun. Mais nous avons trouvé une formule pratique et opérationnelle permettant l’exercice de ce droit dans toutes les entreprises, y compris les plus petites, qui n’étaient pas en mesure de répondre aux multiples obligations déclaratives initiales. Désormais, pour les trois critères ergonomiques, un examen médical permettra de mettre en évidence les conséquences de ces conditions de travail pénibles, et le salarié pourra partir deux ans plus tôt à la retraite à taux plein. C’est un droit qui s’applique dès maintenant. Les branches négocieront sur la prévention.
Concernant le risque chimique, la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, et moi-même avons confié au professeur Paul Frimat une mission pour tenir compte de l’effet différé des agents chimiques dangereux et de l’absolue priorité de la prévention.
Toujours dans une logique de sécurisation juridique, les ordonnances prévoient plusieurs dispositions sur le licenciement. Elles mettent un terme à la prévalence du vice de forme sur l’examen au fond par le juge, sujet majeur pour les petites et moyennes entreprises. Elles créent un formulaire-type rappelant les droits et devoirs de chaque partie pour éviter les erreurs de procédure lors d’un licenciement. Elles remettent au standard européen le périmètre d’appréciation du motif économique, car la règle précédente était pénalisante pour les investissements internationaux, sans garantir davantage de liberté au juge. Elles instaurent des procédures de reclassement plus transparentes et plus équitables, grâce à l’accès à l’ensemble des emplois disponibles dans l’entreprise, par affichage ou via l’intranet de l’entreprise. Elles harmonisent à un an les délais de recours en cas de contestation de la rupture du contrat de travail.
S’agissant des indemnités légales de licenciement, nous avons respecté l’engagement fort pris devant la représentation nationale à l’occasion de l’examen d’un amendement de la majorité. Nous les avons augmentées pour tous les salariés de 25 % au titre des dix premières années d’ancienneté. La mesure est déjà en application. Je rappelle qu’un salarié gagnant 2 000 euros percevait auparavant 4 000 euros d’indemnités après dix ans d’ancienneté ; il en percevra désormais 5 000.
S’agissant des indemnités prud’homales, les ordonnances instaurent, comme annoncé, un barème de dommages et intérêts reposant sur plancher et un plafond, qui sécurise les deux parties en donnant plus de visibilité sur les contentieux potentiels et incite à la conciliation. Je rappelle que le plafond ne s’appliquera pas en cas d’atteinte à des libertés fondamentales, de harcèlement ou de discrimination.
M. Sébastien Jumel
C’est la moindre des choses !
Mme Muriel Pénicaud, ministre
Les affaires de harcèlement dont il a été question ces dernières semaines l’ont montré avec force : en l’espèce, au-delà de la perte d’emploi, il y va d’atteintes à l’intégrité de la personne.
L’incitation à la conciliation prévue par les ordonnances se traduit également par l’instauration de la rupture conventionnelle collective, qui transpose au niveau collectif ce qui a fonctionné au bénéfice des deux parties au niveau individuel. La négociation pourra définir un cadre commun de départ strictement volontaire, qui devra, comme la rupture conventionnelle individuelle, être homologué par l’administration. Vous avez, par ailleurs, à la faveur d’un amendement du rapporteur en commission, permis que le salarié dont le contrat est ainsi rompu, puisse bénéficier du congé de mobilité.
Enfin, l’une des mesures clés de clarification sera l’accès à un code du travail numérique accessible et compréhensible, répondant aux questions concrètes que se posent les chefs d’entreprise des TPE-PME mais aussi les salariés, notamment ceux en situation de handicap. Ce dispositif est significatif de notre volonté commune de rendre effectifs les droits des salariés dans leur vie professionnelle au quotidien. En ce sens, pour répondre à leurs aspirations de pouvoir mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle, nous avons pris le parti de l’audace en établissant un droit au télétravail, sécurisé et souple. Il s’agit d’un droit opposable, dont le salarié peut demander à bénéficier ; il appartiendra à l’employeur de se justifier s’il ne peut y donner suite, et aux accords d’entreprise d’en définir les conditions.
Élargir fortement le champ de la négociation afin que les employeurs et les salariés puissent appréhender l’avenir avec confiance implique de leur donner les moyens d’être pleinement acteurs du dialogue social. Or, aujourd’hui, nous constatons que les vocations syndicales sont insuffisantes, car les élus craignent souvent de s’enfermer dans leur mandat. Par conséquent, il faut renforcer l’attractivité du mandat syndical et mieux le protéger. C’est le sens de la mission que j’ai confiée à Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l’association Dialogues, qui m’a rendu ses conclusions le 4 août. Il a identifié les meilleures pratiques des branches et des entreprises en matière de parcours syndicaux, et poursuit désormais sa mission avec Gilles Gateau, directeur général des ressources humaines d’Air France, pour travailler à leur mise en œuvre avec les partenaires sociaux.
Pour remédier à cet obstacle culturel et ouvrir les perspectives d’évolution pour les représentants du personnel, nous agirons sur plusieurs leviers. D’abord, nous encourageons la montée en compétences des mandataires grâce à une garantie de moyens définie par décret et à un accès renforcé aux formations s’appuyant notamment sur un réseau de grandes écoles et d’universités volontaires. Ensuite, nous favoriserons la meilleure reconnaissance des compétences économiques, sociales et managériales acquises lors de l’exercice d’un mandat au travers du bilan de compétences. Nous encourageons d’ailleurs les accords de branche en la matière. L’une des idées est de mettre en place une task force de branche composée de binômes d’anciens représentants syndicaux et de directeurs des ressources humaines, qui pourraient conseiller et aider les petites et moyennes entreprises qui le souhaitent à mettre en place un dialogue social jusqu’à présent inexistant.
Par ailleurs, nous souhaitons aussi travailler sur l’intégration systématique des questions relatives au dialogue social dans toutes les formations en ressources humaines et en management, ce qui est aujourd’hui rarement le cas. Enfin, nous créerons un observatoire départemental de la négociation, qui aura pour mission le suivi vigilant des parcours, des carrières, de la formation des représentants syndicaux, mais aussi de la discrimination syndicale, qui est inacceptable et dont les ressorts ont été clairement mis en lumière par un rapport adopté à l’unanimité par le Conseil économique, social et environnemental.
Enfin, conformément aux engagements du Président de la République, nous évaluerons de façon transparente et efficace, non seulement, bien sûr, avec le Parlement, mais aussi avec les partenaires sociaux, les effets de la loi relative au renforcement du dialogue social. La mission d’évaluation a été confiée à Marcel Grignard, Jean-François Pilliard et Sandrine Cazes. Cette évaluation alimentera vos travaux de suivi de l’application de la loi.
Mesdames et messieurs les députés, comme l’écrivait Antoine de Saint-Exupéry : « Dans la vie, il n’y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions suivent. » C’est pourquoi nous faisons le pari que l’intelligence collective au plus près du terrain trouvera les réponses adaptées à ses attentes, en conciliant l’impératif de compétitivité et l’exigence de justice sociale. C’est pourquoi nous créons les conditions d’un dialogue social renforcé, qui responsabilise les acteurs. C’est pourquoi les salariés pourront s’impliquer davantage dans l’évolution de leur entreprise, qui sera plus agile, et dont la croissance sera plus robuste. De la sorte, nous pourrons faire converger le progrès social et économique pour la France et les Français, et faire vivre notre héritage social, dont nous sommes fiers, en l’adaptant aux enjeux présents et à venir. Telle est notre ambition. Il vous revient aujourd’hui de vérifier qu’elle est à la hauteur du mandat que vous nous avez délivré pour répondre aux aspirations de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.)
M. le président
La parole est à M. Laurent Pietraszewski, rapporteur de la commission des affaires sociales.
M. Laurent Pietraszewski, rapporteur de la commission des affaires sociales
Monsieur le président, madame la ministre du travail, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui saisie, à travers la demande de ratification de ces ordonnances, d’une importante et profonde réforme des modalités du dialogue social et des relations de travail dans notre pays. C’est une réforme fondamentale, et c’est la première qu’a souhaitée le Président de la République après son élection au printemps dernier. C’est une réforme qui devait être engagée rapidement, raison pour laquelle le Gouvernement a fait le choix de procéder par voie d’ordonnances.
Pour autant, le Parlement n’est pas absent de ce processus : il y intervient en deux temps. Dans un premier temps, nous avons, en effet, eu l’occasion de débattre, assez longuement même, cet été, du périmètre et du contenu du projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer. Nous avons suivi de près les différentes phases de concertation avec les partenaires sociaux, jusqu’à la finalisation du texte des ordonnances et leur publication au Journal officiel, le 22 septembre dernier. Nous voilà arrivés au second temps de ce processus : celui de la ratification des ordonnances, qui permettra à l’ensemble de ces dispositions de prendre force de loi.
M. Sébastien Jumel
On dirait un conte de fée !
M. Laurent Pietraszewski, rapporteur
Ces ordonnances, que changent-elles ? Fondamentalement, elles modifient trois choses, qui sont déterminantes dans la manière de considérer les relations du travail, le rôle des entreprises et les protections à apporter aux salariés. Tout d’abord, elles renforcent le rôle des partenaires sociaux et de la négociation collective dans la définition des règles en matière de droit du travail. Cette réforme joue en effet la carte du dialogue social, autant dans sa méthode que dans ses objectifs : elle a reposé sur une large concertation et consacre de manière solennelle le rôle de la négociation collective au niveau de la branche comme de l’entreprise. Elle repose sur l’idée que le niveau le plus pertinent de négociation est celui de la proximité, raison pour laquelle elle prévoit de consacrer le principe de subsidiarité, en donnant la primauté à l’accord d’entreprise pour négocier les règles afin que celles-ci soient mieux adaptées aux spécificités de chaque entreprise.
Parallèlement, le rôle des branches sort considérablement renforcé de la nouvelle architecture conventionnelle prévue par les ordonnances, puisque les branches détiendront la primauté dans pas moins de treize domaines, qui concernent en particulier les conditions de travail et les garanties collectives apportées aux salariés. Là où la branche a, à l’évidence, plus de légitimité, elle sera amenée à assurer tout son rôle de régulation et de protection. C’est aussi dans cet esprit que les branches pourront être amenées à négocier sur certaines modalités de recours aux CDD ou aux contrats d’intérim, ou encore sur les conditions de recours à des CDI de chantier ou de projet. Sur tous ces points, la branche est, à l’évidence, la mieux placée pour négocier.
Faire résolument confiance au dialogue social se traduit aussi, dans les ordonnances, par le renforcement des acteurs qui le font vivre, chaque jour. Je pense, bien sûr, aux syndicats qui, lorsqu’ils sont présents dans l’entreprise, jouent un rôle incontournable en matière de négociation des accords, mais aussi aux représentants du personnel, qui ont vocation à gagner en efficacité grâce à la fusion des délégués du personnel, du comité d’entreprise et du CHSCT, sans oublier les salariés eux-mêmes, qui, notamment dans les très petites entreprises, sont des acteurs à part entière du dialogue social avec l’employeur. Les ordonnances renforcent donc ces trois catégories d’acteurs, en revalorisant les parcours syndicaux, en renforçant les capacités d’action des représentants du personnel grâce à la création du comité social et économique, et en permettant aux salariés des très petites entreprises de ratifier un projet d’accord proposé par l’employeur.
En second lieu, les ordonnances modifient sensiblement la manière de considérer les relations du travail et les conditions de sa rupture, sur le fondement d’une ligne directrice constante : le dialogue social et l’approche non conflictuelle de ces relations.
M. Sébastien Jumel
Quelle belle histoire !
M. Laurent Pietraszewski, rapporteur
En effet, notre droit du travail se caractérise, beaucoup plus que chez nos voisins, par une forte conflictualité, sur le plan individuel comme collectif,…
M. Sébastien Jumel
Alors que c’est le monde des bisounours !
M. Laurent Pietraszewski, rapporteur
…tant et si bien que cette conflictualité est parfois conçue comme une raison d’être et un objectif en soi et pour soi. Il est essentiel de sortir de cette vision très négative des relations du travail, et c’est à mon sens ce que permettent justement de nombreuses dispositions de ces ordonnances.
Je voudrais en souligner au moins deux. Premièrement, les accords de rupture conventionnelle collective consacrent l’idée selon laquelle les entreprises doivent pouvoir anticiper des réorganisations et des restructurations par la négociation, les ruptures de contrat qui en résultent n’étant pas imposées aux salariés et n’aboutissant pas à un licenciement. Deuxièmement, les régimes d’accords de compétitivité seront unifiés, là où prévalait jusqu’alors une multiplicité de catégories d’accords, de contenus, de modalités de négociation, de régimes de rupture et d’accompagnement du salarié.
Parallèlement à ces dispositions visant à sécuriser la rupture du contrat de travail,….
M. Sébastien Jumel
On sécurise le licenciement !
M. Laurent Pietraszewski, rapporteur
…les ordonnances sécurisent également les entreprises, en leur offrant à la fois plus de visibilité et plus de souplesse dans leur gestion au quotidien.
J’ai évoqué les ruptures conventionnelles collectives, qui doivent permettre aux entreprises de gérer les situations plus en amont et de ne pas attendre d’en être arrivées au stade du plan de sauvegarde de l’emploi. Je crois beaucoup à ce nouveau dispositif : c’est la raison pour laquelle j’ai veillé à ce qu’il soit le plus complet possible, afin d’offrir aux salariés candidats au départ un accompagnement optimal.
La commission des affaires sociales a ainsi adopté un amendement visant à élargir le bénéfice du congé de mobilité aux salariés dans le cadre d’un accord de rupture conventionnelle collective. Elle a aussi conforté le principe de la négociation de ce type d’accord, en prévoyant qu’en cas d’invalidation, si l’employeur soumet un nouveau projet, il devra s’agir d’un accord collectif ayant fait l’objet d’une nouvelle négociation avec les organisations syndicales dans l’entreprise. Elle a, enfin, voulu que l’accord de rupture conventionnelle collective prévoie bien les conditions de la rupture individuelle du contrat et les délais de rétractation des parties. Pour que ce dispositif soit le plus efficace possible, il faut qu’il soit aussi le plus sécurisé possible.
Cet objectif de sécurisation apparaît également dans un encadrement renforcé des conditions de motivation du licenciement, avec par exemple la mise en place de modèles Cerfa, qui doivent faciliter la procédure pour les employeurs comme pour les salariés.
Cette sécurisation se traduit dans plusieurs mesures permettant d’assouplir les obligations qui s’imposent à l’employeur, que ce soit en matière de reclassement pour inaptitude ou de reclassement interne dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. La définition d’un périmètre national d’appréciation des difficultés dans le cadre de la procédure de licenciement économique est, en outre, un facteur important de sécurisation des entreprises et d’amélioration de l’attractivité de notre territoire.
Enfin, ces ordonnances offrent de nouvelles protections et de nouveaux droits aux salariés, afin de les adapter aux évolutions du monde du travail et de répondre aux aspirations des travailleurs. Car sécuriser les entreprises, c’est aussi sécuriser les salariés qui y travaillent : l’harmonisation des délais de recours en cas de rupture du contrat de travail est ainsi de nature à offrir une plus grande visibilité à chacun.
Sécuriser les salariés signifie également leur permettre d’être mieux représentés : c’est le principal objectif poursuivi par la fusion des instances représentatives du personnel et la création du comité social et économique. Grâce au regroupement des instances, les élus du personnel bénéficieront désormais d’une vision plus complète des enjeux de l’entreprise et de moyens d’action renforcés pour faire part à l’employeur des revendications des salariés sur l’ensemble des sujets qui les intéressent, qu’il s’agisse de leurs préoccupations sur l’emploi, de la formation professionnelle, de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou encore des conditions de travail.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre parfois, les questions de santé et de sécurité ne sont en aucun cas négligées. Elles entrent au contraire pleinement dans le champ des compétences des nouveaux représentants du personnel. De plus, elles devront être abordées au moins une fois par trimestre lors des réunions du comité social et économique, c’est-à-dire au même rythme qu’auparavant.
La possibilité pour le comité de se transformer en conseil d’entreprise, doté de la compétence de négociation, est pour moi l’une des avancées les plus importantes de cette réforme. Car, en permettant aux syndicats et aux élus de se réunir au sein d’une même instance, les ordonnances donnent aux représentants du personnel les moyens d’adapter les règles et les protections applicables aux salariés au plus près de la réalité de l’entreprise. C’est pour encourager la création de tels conseils d’entreprise que j’ai soutenu sans réserve l’amendement adopté par la commission des affaires sociales, auquel vous avez fait référence, madame la ministre, qui vise à étendre la compétence de négociation de cette instance à l’ensemble des accords d’entreprise prévus par le code du travail.
Je soulignerai deux avancées importantes des ordonnances en matière de droits des salariés. La première est la création d’un véritable droit opposable au télétravail – vous l’avez évoqué, madame la ministre ; la seconde, la revalorisation importante de l’indemnité légale de licenciement ainsi que la diminution de l’ancienneté requise pour en bénéficier.
M. Sébastien Jumel
C’est presque trop généreux !
M. Laurent Pietraszewski, rapporteur
Madame la ministre, chers collègues, je soulignerai, pour finir, l’importance qu’attache notre assemblée à l’évaluation de ces ordonnances qui transformeront profondément les relations sociales dans notre pays. La représentation nationale devra travailler en proximité avec la mission composée de personnalités indépendantes que vous avez mise en place. Vous pourrez compter sur les parlementaires, notamment sur la commission des affaires sociales, pour contribuer à ce travail. Pour toutes ces raisons, je vous inviterai, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.)
Motion de rejet préalable
M. le président
J’ai reçu de M. André Chassaigne et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, au commencement était le travail, le travail brut, l’activité humaine, la participation de chacune et de chacun à la réponse aux besoins de toutes et tous : le travail au commencement des biens et services. Puis, sont arrivés les grands propriétaires et le monde a été structuré en deux parties inégales aux intérêts divergents : d’un côté, les grands propriétaires – il ne s’agit pas ici de ceux qui possèdent leur appartement ou leur jardin —, de l’autre, celles et ceux qui n’avaient à vendre que leur force de travail pour vivre.
Les propriétaires ont installé des machines construites grâce au travail d’ingénieurs et d’ouvriers. Il n’y avait alors pas un grand nombre de règles : tout se jouait à l’appréciation, variable, d’un seuil d’acceptabilité par le maître des lieux et des corps. Peu à peu les ouvrières et les ouvriers des usines se sont organisés pour se défendre ensemble, si bien qu’un grand mouvement de conquête de droits est né. Les salariés se sont organisés et ont revendiqué des horaires de travail, des salaires décents ou la reconnaissance de travaux de sécurité. Ils ont créé des caisses de secours et des caisses de retraite et ont parfois obtenu de certains employeurs qu’ils y contribuent : certains ont apporté leurs réponses aux questions sociales.
Si le droit s’est d’abord construit de façon empirique, par le rapport de force, il fallait, pour qu’il prenne toute sa dimension, qu’il s’inscrive dans la loi pour s’appliquer également à chacune et à chacun. Ainsi sont advenus le droit de s’organiser en syndicat, la loi des 11 heures pour les femmes et les enfants, la journée de 8 heures, le repos hebdomadaire ou encore le droit des femmes à jouir librement de leur salaire. Toutes ces avancées, qui n’étaient pourtant que justice, avaient dû être conquises et arrachées dans la sueur, par le combat et, parfois, l’histoire en témoigne, dans le sang.
Ce mouvement a constitué une relance de la Révolution, arrêtée au milieu du gué, et de la République, qu’il a consolidée au moment où elle était encore fragile, parce qu’il portait en lui les valeurs universalistes de liberté, d’égalité et de fraternité face au pouvoir absolu de l’argent. Ce fut toujours dans l’adversité, face à ceux qui voulaient conserver leur pouvoir dominant, leurs privilèges et leurs marges. Dès qu’un droit était conquis, il s’en trouvait pour expliquer qu’il fallait, déjà, l’entraver, puis le détruire, même si cela devait prendre du temps.
Ce mouvement a, partout, dans le monde, essayé de forcer les portes et les barrages pour faire respecter la dignité humaine de celles et ceux qui vendent leur force de travail. Mais tout cela, nous dit-on, c’est fini, c’était hier, et n’a plus lieu d’être. Nous ne serions plus au temps où on se tue au travail et où des forces d’argent imposent leur loi, nous ne serions plus au temps des inégalités ni des profits indécents. Et vous voulez supprimer les règles pour que tout, ou presque, devienne discutable.
Beaucoup de choses ont changé dans le travail, dans son organisation et dans la société. Le droit social, qui a été conquis, n’y est pas pour rien, car il a fait de notre pays ce qu’il est en permettant les progrès partagés. Mais cette grande contradiction, ce pouvoir dominant des grands propriétaires, cette rentabilisation toujours plus pressante du travail, cette volonté de baisser le prétendu coût du travail,…
M. Jean-Charles Taugourdeau
Et les 7 millions de chômeurs ?
M. Pierre Dharréville
…ce mouvement qui crée des travailleuses et des travailleurs sans droits, parce qu’on leur fait croire qu’ils sont leur propre patron, ces crises financières à répétition liées à la spéculation et à l’accumulation, ces scandales des polluants industriels et des burn
Il faut avoir le cœur bien accroché pour entendre le Gouvernement proclamer ici son choix de « libérer le capital » au milieu de révélations édifiantes sur l’optimisation et l’évasion fiscales, dont on ne peut pas dire qu’elles invitent à la confiance. Comment ne pas voir qu’il existe aussi de l’optimisation sociale ? C’est le travail, qu’il faut libérer, et c’est le droit qui établit la liberté.
Il a fallu dix-sept ans de travail législatif pour édifier le code du travail. Un siècle plus tard, il vous a fallu dix-sept semaines pour en faire une passoire ! La lenteur des conquêtes sociales n’a d’égale que la rapidité de leurs remises en cause. La justification n’a pas changé : trop de droits, trop de règles, trop de contraintes. Vous faites disparaître, par votre seule volonté, les contradictions qui traversent le réel, les conflits d’intérêts et les rapports de force qui structurent les relations sociales. C’est presque émouvant, et tellement invraisemblable ! Le conflit entre le capital et le travail est une réalité que la puissance publique ne doit pas ignorer. S’il y a un code du travail, c’est pour faire pièce au pouvoir de la propriété. De ce débat ancien, mais toujours contemporain, vous ne sauriez vous extraire. Quels intérêts voulez-vous satisfaire ? Vous devez choisir, vous avez choisi. C’est la raison pour laquelle la droite vous soutient. Elle aurait eu du mal à faire mieux, compte tenu de votre créativité, adossée à celle du MEDEF et de son club de DRH.
Vous ne pourrez pas vous cacher derrière un amoncellement de mesures techniques, présentées comme autant d’aménagements neutres ou d’options ajoutées à un véhicule standard. C’est une réforme majeure, dramatiquement majeure. Dans cette histoire que j’ai rapidement évoquée, elle prend sens : constituer une remise en cause radicale de la philosophie du droit du travail en ouvrant la porte à de vastes régressions. Or, par l’ampleur que vous avez donnée à cette réforme dans la précipitation insouciante de votre élection, vous vous êtes mis en contradiction avec des principes fondamentaux. Voilà ce qui fonde cette motion de rejet préalable.
Premièrement, vous contrevenez à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Vos ordonnances sont fondées sur le principe de la variabilité des droits en fonction de l’endroit dans lequel on travaille. Des droits, antérieurement inscrits dans la loi commune, sont déclassés pour faire l’objet de négociations au cas par cas et au coup par coup dans les branches ou les entreprises. Le même article de la Déclaration stipule que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Vous n’avez pas démontré cette utilité commune. Et pour cause ! Elle serait introuvable. Les bénéfices de vos ordonnances n’iront pas au pot commun. La France sera demain moins qu’hier une République sociale si vos ordonnances doivent perdurer. Je le dis en pensant à ces salariés d’entreprises sous-traitantes du golfe de Fos-sur-Mer et d’ailleurs.
Deuxièmement, en rétrécissant le périmètre d’appréciation des difficultés économiques au territoire national, vous affaiblissez notre pays et notre économie en laissant des multinationales ne pas assumer leurs responsabilités. Combien de régimes se sont fracassés sur le mur de l’argent et sont tombés pour n’avoir pas su imposer leur volonté générale aux grands propriétaires et décideurs économiques ? Cette disposition constitue un permis de licenciement boursier et un encouragement à fermer des sites dans notre pays, même si des investissements pourraient y être réalisés pour relancer une activité viable. Elle nous affaiblira face à ces forces. Ce rétrécissement ouvre la porte à des mises en cause de l’indépendance et de l’intégrité nationales. Je le dis en pensant aux salariés de Castorama et de Brico Dépôt. Je le dis aussi en pensant à tous les salariés licenciés et tous les chômeurs.
Troisièmement, vous contrevenez à l’article 64 de la Constitution relatif à l’indépendance de la justice, laquelle se traduit notamment par la liberté du juge dans la fixation de la peine. Or votre barème baroque, qui plafonne les indemnités prud’homales, limite cette liberté et met en cause l’individualisation de la peine en fonction des circonstances et du préjudice. De surcroît, en arguant de la nécessité d’une prévisibilité, vous prévoyez la possibilité, certes en contrepartie d’une certaine somme à acquitter, de déroger à la loi et de ne pas respecter les règles qui prévalent pour un licenciement, ce qui constitue un encouragement à l’infraction qui ne saurait être conforme à l’esprit des lois.
Le plafonnement paraît également non conforme à l’article 24 de la Charte sociale européenne. Une décision du Comité européen des droits sociaux du 8 septembre 2016 a condamné la législation finlandaise pour un dispositif similaire. Notre législation court désormais le risque de connaître le même sort. Je le dis en pensant aux salariés victimes de licenciements abusifs.
Quatrièmement, votre référendum d’entreprise a pour conséquence de permettre à l’employeur de contourner les organisations syndicales. De vos ordonnances, c’est d’ailleurs une des lignes de force : décrétant l’insuffisance des organisations syndicales, vous mettez en place les moyens de s’en passer. Il s’agit d’un mécanisme bien connu d’individualisation des rapports sociaux, lequel conduit à abîmer les liens de solidarité et à laisser le salarié seul dans son rapport asymétrique avec son employeur. Or l’article 6 du Préambule de la Constitution de 1946 dispose que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix », et l’article 8 que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».
Ces dispositions viennent également percuter l’article 5 de la convention no 135 de l’Organisation internationale du travail – OIT –, qui accorde des garanties aux délégués syndicaux dans le cadre de la négociation.
Regardons également le paragraphe 57 de la déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale : « Dans les entreprises tant multinationales que nationales, des systèmes élaborés d’un commun accord par les employeurs, les travailleurs et leurs représentants devraient prévoir, conformément à la législation et à la pratique nationales, des consultations régulières sur les questions d’intérêt mutuel. Ces consultations ne devraient pas se substituer aux négociations collectives. » De même, dans sa déclaration de 1998 relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi, l’OIT réaffirme, parmi quatre objectifs principaux, son attachement à « la reconnaissance effective du droit de négociation collective ».
L’instauration d’un rapport vertical sans intermédiation vise toujours à installer un pouvoir et son emprise. L’article 2 de la convention no 98 de l’OIT prévient contre les actes d’ingérence des employeurs dans les organisations de salariés. En permettant le contournement de ces dernières, vous ouvrez le champ à de tels actes. Or, dans l’entreprise, le pouvoir des propriétaires est déjà suffisamment établi pour qu’on n’en rajoute pas. Je dis cela en pensant aux salariés de Smart.
Mon cinquième point porte sur la création d’une instance unique de représentation du personnel. Dans les entreprises de plus de 300 salariés, vous ouvrez la voie à l’intégration des délégués syndicaux dans cette instance ; ainsi, vous mettez directement en cause le rôle particulier des organisations syndicales et leurs prérogatives en matière de négociation. Telle que vous la présentez, l’instance unique contrevient à une disposition prévue à l’article 5 de la convention no 135 de l’OIT, selon lequel il convient de « garantir que la présence de représentants élus ne puisse servir à affaiblir la situation des syndicats intéressés ou de leurs représentants ».
Par un mécanisme pervers, vous affaiblissez les dispositifs existants de protection de la santé des travailleurs et des travailleuses, puisque vous demandez à la nouvelle instance de choisir entre la réalisation d’une étude sur l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail, à laquelle elle devra contribuer à hauteur de 20 %, et l’organisation d’activités sociales et culturelles en direction des salariés. La convention no 148 de l’OIT prévoit que « les travailleurs ou leurs représentants auront le droit de présenter des propositions, d’obtenir des informations et une formation et de recourir à l’instance appropriée pour assurer la protection contre les risques professionnels dus à la pollution de l’air, au bruit et aux vibrations sur les lieux de travail ». Avec la mise en place de votre instance unique, ce droit est désormais placé sous conditions ; il deviendra plus difficile à faire valoir. Je dis cela en pensant notamment aux victimes de l’amiante.
Le sixième manquement que je souhaite souligner concerne votre choix de faire primer le contrat d’entreprise sur le contrat de travail, créant ainsi un nouveau motif de licenciement. Vous n’avez pas vraiment tenu compte de l’avis du Conseil d’État, qui vous a alertés et vous a demandé de veiller « à ce que les dispositions […] respectent les principes de valeur constitutionnelle et les conventions internationales, notamment la convention no 158 de l’OIT ». Or l’article 4 de cette dernière dispose : « Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service. » La modification d’un contrat de travail sans l’accord du premier concerné, alors même qu’il engage les deux parties signataires, ne saurait constituer un motif valable de licenciement. Je dis cela en pensant aux cadres et aux employés qui connaissent déjà les avenants signés sous la contrainte.
J’en viens à mon septième point. Monsieur le rapporteur, vous avez dit tout à l’heure que vous vouliez « sécuriser la rupture du contrat de travail ». Je crains qu’à l’arrivée, vous ne finissiez par rompre la sécurité !
La facilitation des procédures de licenciement, notamment à travers la rupture conventionnelle collective, contrevient à l’article 13 de la convention no 158 de l’OIT, qui dispose : « L’employeur qui envisage des licenciements pour des motifs de nature économique, technologique, structurelle ou similaire devra fournir en temps utile aux représentants des travailleurs intéressés les informations pertinentes, y compris les motifs des licenciements envisagés, le nombre et les catégories de travailleurs qu’ils sont susceptibles d’affecter et la période au cours de laquelle il est prévu d’y procéder ; donner, conformément à la législation et à la pratique nationales, aussi longtemps à l’avance que possible, l’occasion aux représentants des travailleurs intéressés d’être consultés sur les mesures à prendre pour prévenir ou limiter les licenciements et les mesures visant à atténuer les effets défavorables de tout licenciement pour les travailleurs intéressés […]. » L’article 14 de cette même convention ajoute que l’employeur devra notifier ces licenciements « à l’autorité compétente aussi longtemps à l’avance que possible, en lui donnant les informations pertinentes, y compris un exposé écrit des motifs de ces licenciements, du nombre et des catégories de travailleurs qu’ils sont susceptibles d’affecter […] ». Je dis cela en pensant aux seniors en errance et parfois en déshérence sur le marché du travail.
Votre huitième écart, toujours par rapport à la convention no 158 de l’OIT, porte sur la simplification de la procédure de licenciement. Vous offrez à l’employeur le droit de préciser son motif après coup, ce qui empêche évidemment le salarié de se défendre. Or la convention no 158 de l’OIT ne prévoit que deux possibilités : soit « la charge de prouver l’existence d’un motif valable de licenciement […] devra incomber à l’employeur », soit un organisme impartial devra se prononcer « au vu des éléments de preuve fournis par les parties ». Je dis cela en pensant à tous ceux et celles qui ont réussi à se faire réintégrer dans leur entreprise parce qu’ils ont eu les moyens de se défendre.
Neuvièmement, vos ordonnances s’écartent d’une disposition que l’on peut considérer comme un principe fondamental, inscrite à l’article L. 1 du code du travail, qui dispose : « Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel […]. » En vous exonérant de préciser dans la loi ce qui relève de ces relations individuelles et collectives de travail, vous mettez à l’écart les organisations représentatives au plan national sur des questions majeures au sujet desquels vous aviez jusqu’à présent l’obligation de les consulter. Je dis cela en pensant aux salariés qui n’ont pas la chance de pouvoir compter sur une organisation syndicale sur leur lieu de travail.
Dixièmement, vous assouplissez les conditions du travail de nuit, en contradiction avec la convention no 171 de l’OIT, selon laquelle « les compensations accordées aux travailleurs de nuit en matière de durée du travail, de salaire ou d’avantages similaires doivent reconnaître la nature du travail de nuit ». Cette même convention dispose : « Avant d’introduire des horaires de travail exigeant les services de travailleurs de nuit, l’employeur doit consulter les représentants des travailleurs intéressés sur les détails de ces horaires, sur les formes d’organisation du travail de nuit les mieux adaptées à l’établissement et à son personnel ainsi que sur les mesures requises en matière de santé au travail et de services sociaux. » Je dis cela en pensant à celles et ceux qui doivent prendre leur quart, auxquels on demande d’être encore un peu plus malléables.
J’en viens à mon onzième point. En attaquant la hiérarchie des normes et le principe de faveur, vous ouvrez la voie à une régression sociale dans notre pays. On pourra ainsi déroger à la baisse. Or le préambule de la constitution de l’OIT dénonce le fait qu’« il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger ». C’est pourquoi cette constitution prône l’instauration de nombreux droits, de la fixation d’une durée maximale de la journée et de la semaine de travail à la protection des travailleurs contre les maladies générales ou professionnelles et les accidents résultant du travail. Elle souligne que « la non-adoption par une nation quelconque d’un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d’améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays ».
La déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale, révisée en mars 2017 par l’OIT, souligne le rôle positif que pourraient jouer les multinationales pour tirer vers le haut l’ensemble des droits. Cette déclaration vise à « encourager le progrès social et le travail décent ». À notre sens, vous faites ici œuvre contraire en ne jouant pas tout le rôle que nous devons jouer pour un progrès social partagé.
Dans tous les pays du monde, des salariés se mobilisent pour gagner des droits. En réduisant ceux des salariés de notre pays, nous affaiblissons leur cause. On remarque dans le monde une plus grande réceptivité aux recommandations de l’Organisation mondiale du commerce – OMC – et du Fonds monétaire international – FMI – qu’à celles de l’OIT, auxquelles on n’accorde pas la même force juridique, ce qui est injustifiable mais tellement révélateur. Je dis cela en pensant aux travailleurs précaires, pauvres et exploités de tous âges du monde entier. Lors des questions au Gouvernement, nous avons évoqué la situation profondément révoltante de ces femmes et de ces hommes livrés, aujourd’hui encore, en esclavage.
Mon douzième et dernier argument porte sur la méthode. Avant de légiférer, il convient d’évaluer les effets des mesures précédentes. Vous ne l’avez pas fait. Vous avez supprimé des dispositions récentes en prétendant qu’elles n’avaient pas fonctionné – je pense au mandatement syndical permettant de favoriser la négociation dans les petites entreprises.
Vous avez prétendu avoir engagé une grande concertation dont vous affichez le « compteur temps » – pas plus de 300 heures, avez-vous dit, madame la ministre. Si l’on regarde le « compteur satisfaction », on est beaucoup moins impressionné ! Lors de ces concertations uniquement bilatérales, vous n’avez pas fourni de document écrit aux organisations syndicales ; vous avez testé un certain nombre d’idées avant de faire votre propre choix sans permettre d’échanges entre les organisations et avec les salariés de ce pays. En allant vite, en pressant le Parlement, en agissant l’été, vous avez cherché à empêcher la tenue d’un vrai débat public alors même que cette question avait déjà fait l’objet de mesures très sensibles un an plus tôt.
Rien ne justifie l’urgence que vous avez invoquée ni la faiblesse des moyens démocratiques que vous avez déployés au regard de l’ampleur du champ embrassé par ces ordonnances. En effet, la loi d’habilitation que vous avez soumise au Parlement était extrêmement large. Nous avons vu apparaître des dispositions dont personne n’avait entendu parler et qui, de ce fait, méritent d’être censurées. Je pense en particulier à la rupture conventionnelle collective, qui constitue un plan social au rabais et une trappe à l’emploi des seniors.
Votre précipitation affecte la qualité de la loi et se traduit par l’annonce d’une ordonnance-balai qui viendra corriger les erreurs et approximations commises et dont nous n’avons même pas encore connaissance.
En juillet, nous n’avons débattu que d’intentions. Cette semaine, nous allons débattre du fond mais, au lieu de faire la loi, nous allons valider ou invalider le travail que le Gouvernement a fait à notre place. Chacune de ces mesures ne pourra être vraiment examinée et éclairée par le débat parlementaire que dans la mesure où elle fera l’objet d’amendements. Le travail et le code du travail méritent un autre traitement, une autre délicatesse, un autre sérieux.
Le mandat donné a-t-il été respecté ? La question peut se poser. Je voudrais d’abord souligner un manque de clarté. Vous nous aviez dit que vous vouliez vous attaquer au chômage ; or, à l’ouverture de la conférence de presse du 31 août, M. le Premier ministre a annoncé que ces ordonnances n’étaient pas faites pour cela. Sagesse, sans doute, puisque l’absence de corrélation entre les mesures d’abaissement des droits sociaux et la courbe du chômage a été démontrée. Mais cet argument a fini par revenir, et on le comprend : si cette réforme ne vise pas à lutter contre le chômage, alors pour quelle raison la faites-vous ?
Pour renforcer le dialogue social, vraiment ? Nous avons reçu les organisations de salariés. Leur avis est quasi unanime : elles ne valident pas cette réforme, elles ne l’ont pas demandée et elles ne sont, pour l’essentiel, pas d’accord avec sa philosophie et son contenu. Le MEDEF n’ose même pas se féliciter trop bruyamment, de peur de vous nuire et de nuire à ces ordonnances si excellentes à ses yeux. En guise de renforcement du dialogue social, on a fait mieux. Et ce n’est pas fini, car vous allez ouvrir les appétits de régression sociale et nourrir de nouveaux conflits sociaux qui étaient jusqu’ici sans objet, en faisant comme s’il n’existait, jusqu’alors, aucun dialogue dans les entreprises sur le travail et son organisation.
Vous ôtez de sa force à la loi. Le Gouvernement a annoncé vouloir « libérer les énergies et offrir de véritables protections aux salariés », mais vous libérez les forces de la finance et vous n’offrez aucune protection aux salariés. C’était prévisible. En matière de sécurité comme en matière de richesses, ce que vous donnez aux employeurs, vous le prenez aux salariés. Vous vantez la nécessaire rémunération du risque, mais il n’y aura bientôt plus grand risque à rémunérer.
Vous avez annoncé vous situer « dans la droite ligne de l’héritage social du pays ». On nous permettra d’en douter. Que vous soyez dans la droite, avec cette réforme, c’est un fait, mais cela s’arrête là. (Sourires sur les bancs des groupes GDR et NG.)
M. Sébastien Jumel
Pas mal !
M. Pierre Dharréville
Vous avez annoncé apporter des solutions pragmatiques aux TPE et PME, mais les principales dispositions de ces ordonnances vont profiter aux grandes multinationales, et le dumping social sans précédent auquel vous ouvrez les vannes va plonger les TPE et PME dans la difficulté.
Vous êtes partis du postulat que c’étaient les obligations liées aux institutions représentatives du personnel et aux relations sociales qui pesaient sur les PME, alors que leurs problèmes résident dans la faiblesse des carnets de commandes, dans le coût du crédit et les difficultés pour y accéder, dans la différence de traitement fiscal entre les PME et les multinationales ou encore dans la situation faite aux sous-traitants. La simplification que vous avez évoquée ne sera pas au rendez-vous. Enfin, on cherchera en vain les nouvelles garanties que vous annonciez pour les délégués syndicaux et les élus du personnel.
Le décalage entre les intentions et les dispositions est énorme, ce qui pourrait confiner à l’insincérité. Les représentants des organisations syndicales, dans leur diversité, parlent de « marque de défiance à l’égard des syndicats » et de « contournement des organisations syndicales », déclarant que « la majorité des entreprises sort du champ du dialogue social ». Ils disent encore qu’il s’agit de « flexibilisation à outrance » et d’« amplification du dumping social », que « favoriser les licenciements n’a jamais créé d’emplois », que « les entreprises vertueuses n’auront rien gagné dans ces ordonnances », et ainsi de suite.
Votre diagnostic est erroné. Vous pensez que les salariés sont responsables du chômage parce qu’ils ont trop de droits. Nous pensons, quant à nous, que ce sont les grands propriétaires qui ont trop de droits. Il y a tant à faire pour qui voudrait écrire un code du travail du XXIe siècle, capable de donner des outils aux salariés pour faire face à la financiarisation galopante du monde. Nous ferons à nouveau des propositions en ce sens dans ce débat.
Le travail joue un rôle structurant dans l’existence de chacun comme dans la vie sociale et dans le mouvement du monde. Vous nous proposez, avec ces ordonnances, un grand bond dans le passé. Nous nous y opposons de toute notre énergie, parce que nous savons les drames que prépare cette politique.
Votre principal argument est connu : c’est que vous l’aviez dit pendant la campagne ! Mais la démocratie veut que la politique se construise dans le creuset du débat public et vous aurez, à chaque réforme, à apporter la preuve qu’elle est voulue par notre peuple. Pour celle-ci, chacun sait que ce n’est pas le cas. Vous n’avez pas convaincu grand-monde depuis que vous l’avez déposée sur la table. Vous n’avez pas de majorité dans le pays pour vos ordonnances, qui prescrivent toujours les mêmes remèdes et qu’on pourrait, en relisant Molière et en se cachant un peu derrière lui, qualifier d’ordonnances « diafoireuses ». Les maintenir ne relève pas du courage, mais de l’entêtement et du passage en force.
Chères et chers collègues, je crois pouvoir conclure ce réquisitoire, sans trop vous surprendre, en disant que le vote de cette motion de rejet serait bienvenu. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, NG et FI.)
M. le président
Madame la ministre, souhaitez-vous intervenir ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre
Non, monsieur le président.
M. le président
Et vous, monsieur le rapporteur ?
M. Laurent Pietraszewski, rapporteur
Moi non plus, monsieur le président.
M. Sébastien Jumel
Cela les laisse sans voix !
M. le président
Nous en venons aux explications de vote sur cette motion de rejet préalable.
La parole est à M. Sylvain Maillard, pour le groupe La République en marche.
M. Sylvain Maillard
Monsieur Dharréville, vous venez de défendre une motion de rejet préalable comme si, sur ce sujet, nous n’avions pas déjà énormément travaillé et si tout n’avait pas déjà été dit. Notre responsabilité est d’agir. La réforme du dialogue social dans le code du travail était inscrite au programme d’Emmanuel Macron et nous avons fait campagne, pour les élections législatives, en défendant ces nouvelles libertés destinées à mieux protéger.
Depuis le début de l’été, le Gouvernement a mis en chantier la réforme par voie d’ordonnances. La ministre du travail, son cabinet et celui du Premier ministre ont engagé un travail de concertation titanesque – 300 heures, comme vient de le rappeler Mme la ministre –, salué par les partenaires sociaux. Nous avons ensuite adopté le projet de loi d’habilitation. Les ordonnances ont été publiées et signées par le Président de la République. Aujourd’hui, nous voulons des résultats rapides en matière de baisse du chômage et de retour de la croissance. Ces résultats supposent la traduction définitive des ordonnances par la loi de ratification soumise aujourd’hui à notre assemblée.
La première nouveauté des ordonnances est qu’elle donne la priorité aux TPE et aux PME, en leur permettant de simplifier le dialogue social interne. Elles favorisent aussi l’accessibilité et la simplification dans les négociations à venir, avec plus d’équité et de lisibilité pour les salariés et les employeurs grâce à un barème des indemnités prud’homales, plafonnées et fixées en fonction de l’ancienneté. Les ordonnances permettent également une adaptation aux réalités d’aujourd’hui : alors que 10 % des salariés ont recours au télétravail et n’avaient jusqu’alors pas de protection juridique, elles prennent enfin en compte cette nouvelle réalité du télétravail, qui permet plus de souplesse dans l’employabilité et une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Elles créent le conseil social et économique et renforcent le rôle des branches, à la demande des syndicats. Elles prévoient en outre la prise en compte de la pénibilité du travail et de nouvelles garanties pour les délégués syndicaux et les élus du personnel.
Il faut adapter notre code du travail aux mutations économiques et aux nouvelles réalités sociologiques et environnementales. Il est temps pour chacun, en conscience, de voter pour ou contre la ratification des ordonnances voulues par le Président de la République et notre majorité. Nous voterons donc contre votre motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe REM.)
M. le président
La parole est à M. Stéphane Viry, pour le groupe Les Républicains.
M. Stéphane Viry
La question de l’emploi est, en 2017, essentielle dans notre pays, où des millions d’hommes et de femmes cherchent une situation de travail. La France a testé de nombreuses solutions pour améliorer l’emploi, avec des dispositifs plus ou moins efficients et, manifestement, la peur de l’embauche se révèle être une réalité et peut être un frein : il fallait répondre à cette situation pour inciter les entreprises à recruter les hommes et les femmes dont elles ont besoin pour accroître leur production et favoriser le travail.
Ce texte va dans le sens de la clarification et de la facilitation des négociations, notamment dans les PME et TPE. Il permet de simplifier davantage la fusion des instances représentatives du personnel, fixe un barème prud’homal et simplifie le compte pénibilité : ce sont autant d’éléments qui nous paraissent aller dans le sens d’une évolution favorable et positive de notre droit du travail – simplification, harmonisation, facilitation et assouplissement.
Il faut que le débat ait lieu. Il aura lieu, et nous y participerons, madame la ministre. C’est la raison pour laquelle nous ne voterons pas la motion qui nous est présentée.
M. le président
La parole est à M. Patrick Mignola, pour le groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
M. Patrick Mignola
Monsieur Dharréville, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention (« C’est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe GDR) retracer, dans ce lieu où il est légitime que chacun exprime ses convictions – et les vôtres sont puissantes et profondes – l’histoire du droit social dans notre pays, et nous ne pouvons que vous entendre lorsque vous expliquez comment la représentation nationale a fait évoluer les droits sociaux, comment nous avons lutté contre des scandales et permis d’avancer vers un idéal où l’efficacité économique et la justice sociale pouvaient aller de pair.
Mais j’ai entendu aussi dans vos propos, à chacun des douze griefs juridiques que vous formuliez pour justifier cette motion de rejet préalable, une référence à un autre de ces scandales, à un autre de ces plans sociaux, à un autre de ces malheurs que des salariés avaient connus dans des entreprises que vous avez citées – ce qui prouve bien que, malgré un siècle de progrès social et d’efforts pour tenter de répondre aux différentes situations, nous sommes obligés de convenir ensemble que notre droit du travail échoue encore largement à préserver les droits sociaux des salariés.
C’est la raison pour laquelle, dès la loi d’habilitation, nous avons défendu l’idée d’un changement de paradigme : au lieu d’ajouter toujours de nouveaux éléments, il faut changer de méthode ; au lieu de nous situer dans un droit du travail qui serait toujours marqué par l’image du conflit et par la conviction que ce sera toujours par le conflit que l’économie avancera ou reculera, c’est dans une logique de convergence que nous avons voulu placer ces ordonnances.
Dans ces conditions, le groupe du Mouvement démocrate et apparentés ne s’associera pas à cette motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et REM.)
M. le président
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo, pour le groupe Les Constructifs : républicains, UDI, indépendants.
Mme Agnès Firmin Le Bodo
Depuis le début des discussions, notre groupe, Les Constructifs, a toujours voté pour ce projet de loi. Nous avons été proactifs en proposant des amendements, même si nous regrettons de ne pas avoir été entendus, notamment sur notre souhait d’être associés à la rédaction des ordonnances. Nous pensons néanmoins que cette réforme du code du travail est nécessaire, même si elle n’est pas suffisante pour faire baisser le chômage.
Vous faites le pari de la confiance, de l’optimisme et de l’audace. Nous vous suivons dans ces domaines. Notre code du travail doit s’adapter à l’évolution du monde du travail. Cette réforme, notamment avec le recours au télétravail, le permet.
Elle s’adresse aussi, en majeure partie, aux TPE et PME – c’était nécessaire – et constitue une avancée. Les mesures présentées contribuent de manière décisive à la simplification du dialogue social. Nous saluons l’esprit global de ces ordonnances, malgré le souhait que nous avions, par exemple, de voir instaurer un contrat de travail unique à droits progressifs. Nous aurions également souhaité être entendus à propos des seuils et des effets de seuil.
Nous pensons néanmoins que cette réforme et ces ordonnances vont dans le bon sens. C’est pourquoi notre groupe, Les Constructifs, votera contre cette motion de rejet.
M. le président
Je n’ai pas reçu de demande d’explication de vote de la part du groupe Nouvelle Gauche.
La parole est à M. Alexis Corbière, pour le groupe La France insoumise.
M. Alexis Corbière
Madame la ministre, vous avez eu le mérite – c’était, je crois, le 1er juillet, dans Le Monde –, d’indiquer assez clairement votre vision du code du travail, qui n’était fait, selon vous, que pour embêter 95 % des entreprises. Nous pensons que c’est l’inverse, et que le code du travail exprime un degré de civilisation et qu’il est aussi destiné à protéger les salariés car, ne vous en déplaise, l’entreprise est bien le lieu de l’expression d’un rapport de forces et d’intérêts divergents et c’est la loi qui permet qu’un intérêt général s’exprime. Il est bien naïf, en effet, de croire qu’il n’y a pas d’intérêts contradictoires qui s’expriment au sein de l’entreprise – il faut même n’y avoir jamais mis les pieds pour le penser.
C’est la loi, et son expression précise qu’est le code du travail, qui permet que le rapport de force ne soit pas défavorable aux salariés. C’est une curieuse vision que celle qui vous fait aborder une discussion en disant que ce sont, en gros, les entrepreneurs qui seraient gênés par le code du travail.
À partir de là, tout s’est décliné et c’est la raison pour laquelle nous allons voter cette motion de rejet préalable. C’est en effet un bien mauvais coup que vous portez au code du travail : vous allez faciliter les licenciements et rendre plus précaire la situation des salariés.
Je reviendrai enfin sur un autre de vos arguments – car, certains croient qu’à force de répéter un mensonge, il finira par devenir une vérité – : aucune organisation syndicale de salariés n’approuve cette réforme du code du travail. Toutes y sont défavorables – certaines sont vent debout, d’autres sont déçues. Pas une seule organisation de salariés de ce pays ne vous soutient. Ce bilan devrait vous éclairer sur le fait que cette méthode est celle d’un coup de force. Enfin, chers collègues du groupe La République en marche, il n’est pas vrai que vous ayez fait campagne sur cette réforme.
M. Sylvain Maillard
Si, nous l’avions annoncée !
M. Alexis Corbière
Vous avez dit qu’il fallait modifier le code du travail, mais nous sommes tous favorables à sa modification. Nous n’en faisons pas un texte sacré, comme des tables de la loi qui ne seraient pas réformables. Qu’il faille changer le code du travail, tout le monde le dit. La question est de savoir pour quoi faire.
Il n’est pas vrai que vous ayez mené campagne en disant que vous vouliez faciliter les licenciements ou que, lorsqu’un salarié subirait un licenciement abusif, l’indemnité qu’il percevrait serait plafonnée. Vous n’avez donc pas de légitimité et nous voterons cette motion de rejet préalable.
M. François Ruffin
Très bien !
M. le président
La parole est à M. Fabien Roussel, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Fabien Roussel
Je prends le relais de M. Corbière pour dire que nous aurions en effet pu prendre le temps de réformer le code du travail, d’accorder des garanties supplémentaires au monde du travail et aux salariés, d’améliorer les conditions de travail et la santé au travail. Nous aurions pu prendre le temps d’y travailler ensemble et d’apporter des améliorations à notre code du travail. Or, c’est tout l’inverse qui a été fait durant ces deux mois, à toute vitesse et dans la précipitation, avec un projet d’inspiration essentiellement patronale, pour casser le code du travail et les règles existantes, apportées au long des dernières décennies.
Ce qui se passe aujourd’hui est symbolique car, dans la même journée, nous votons un budget de la nation entièrement dédié à la finance et au monde des affaires et, maintenant, un texte de loi qui casse le code du travail et le modèle d’organisation du travail propre à notre pays. C’est assez révélateur du projet de société dans lequel vous voulez emmener les Français, lesquels s’apercevront, au fil des mois et des années, que ces évolutions font du mal à notre pays.
Il y avait tant de choses à faire, dans notre pays, pour remplir les carnets de commandes de nos entreprises et permettre à chaque salarié d’avoir un vrai travail, avec un vrai salaire et de meilleures conditions de vie et de travail. Il y avait tant d’espoirs à apporter et auxquels il fallait répondre. Or, c’est tout l’inverse qui est fait aujourd’hui, et de la plus mauvaise manière : par des ordonnances qui ne nous permettent pas d’avoir ce débat – ni ici, ni avec les organisations syndicales.
C’est la raison pour laquelle, ensemble, nous voterons cette motion de rejet préalable présentée par notre collègue Pierre Dharréville. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)
Motion de renvoi en commission
M. le président
J’ai reçu de M. Olivier Faure et des membres du groupe Nouvelle Gauche une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vous ne vous étonnerez pas que le groupe Nouvelle Gauche exprime à nouveau ses désaccords, ses inquiétudes et ses déceptions.
Nos désaccords demeurent, nos inquiétudes se vérifient et nos déceptions se confirment. Cette réforme passe à côté de l’essentiel. Elle n’est pas une révolution copernicienne. Elle n’est pas, quoi que vous en disiez, la plus grande des réformes du code du travail depuis René Coty. Mais elle est un élément supplémentaire d’une politique libérale qui, selon nous, accroîtra les inégalités.
Après trente ans durant lesquelles nous avons eu à arbitrer entre inflation et chômage, vous nous demandez d’arbitrer désormais entre chômage et mini-jobs. Vous y voyez un progrès, alors qu’il s’agit pour nous d’un renoncement tragique et coupable.
Si vous me permettez cet emprunt, cette réforme est un peu « feignante ». Elle n’affronte aucun des grands sujets ni des grands défis de notre société : dans un pays où l’on dénombre beaucoup de mini-jobs et de contrats de courte durée, vous ne vous attaquez pas à la qualité de l’emploi, à la pauvreté au travail non plus qu’aux inégalités. Vous en prenez acte et vous semblez même les encourager en facilitant les licenciements ainsi qu’en instaurant les ruptures conventionnelles collectives et les CDI de chantier au sujet desquels on pourrait demander à ceux qui les défendent – la question vous rappellera quelque chose – s’ils en voudraient pour eux-mêmes. Je suis certain du contraire. La seule promesse que vous tenez est, je le crains, celle de la démocratisation de la précarité au travail.
Vous manquez le rendez-vous du dialogue social. Vous nous aviez demandé de vous faire confiance sur ce plan-là comme sur beaucoup d’autres, mais, de l’avis unanime des organisations syndicales, le rendez-vous est manqué.
Vous avez en réalité fait droit à la conception la plus rétrograde en réduisant le dialogue social à une simple relation sociale dans l’entreprise. On croirait, à certains égards, entendre le président du MEDEF, qui prétend que lorsqu’il parle avec ses salariés, il fait déjà du dialogue social ! Les ordonnances sont, par ailleurs, muettes sur la codécision, en dépit des amendements que nous avions déposés sur les administrateurs salariés.
Vous évitez également d’affronter le sujet majeur de la révolution numérique, qui n’a donné à voir qu’une part d’elle-même. Au moment où vous présentiez ces ordonnances, des salariés de la société Deliveroo manifestaient, mais votre projet ne consacre pas une ligne à la question des travailleurs des plates-formes.
Sur la centaine d’amendements que nous avons déposés en commission, vous n’en avez accepté qu’un seul. Je voudrais néanmoins vous en remercier, car cela aurait pu être pire ! Vous prétendez n’être ni de droite ni de gauche, pourtant c’est bien à droite de cet hémicycle que l’on votera vos ordonnances.
Je voudrais à présent revenir sur leurs éléments majeurs, qui justifient notre demande de renvoi en commission.
La première ordonnance fixe un nouveau cadre de la négociation collective, qui constitue, pour nous, un véritable contournement des partenaires sociaux.
Vous nous dites vouloir renforcer le dialogue social en accordant plus de place à la négociation collective et en soutenant ses acteurs. D’une certaine manière, vous donnez plus de place à la négociation collective : vous le faites sans les syndicats, ni les intermédiaires indispensables à la négociation que sont les représentants du personnel.
L’intervention de ces représentants, madame la ministre, n’a pas été prévue par hasard. D’une part, elle garantit l’indépendance des négociateurs par rapport à l’employeur pour assurer l’égalité dans la négociation et, d’autre part, elle permet de s’assurer que les négociateurs défendront bien les intérêts collectifs des salariés, et non leurs intérêts propres. Elle est fondamentale pour garantir une négociation loyale, indépendante, et équilibrée.
Pourtant, que faites-vous dans cette ordonnance ? Vous exonérez l’employeur de toute recherche d’un interlocuteur syndical et, dans bien des circonstances, vous le poussez même à agir seul. Dans les entreprises de moins de vingt salariés, vous l’incitez à décider unilatéralement en lui permettant de proposer un projet d’accord – qu’il aura établi tout seul – à ses salariés qui pourront le valider par référendum.
En commission, vous avez même fait droit à un amendement, qui nous inquiète, autorisant le monopole total du conseil d’entreprise. C’est la suppression pure et simple de la représentation syndicale qui se trouve absorbée au sein du comité social et économique. Dans cet amendement, la différence entre élu et délégué syndical semble avoir été oubliée. Le premier représente les salariés quand le second représente les syndicats, et les intérêts qu’ils défendent ne se recoupent pas complètement.
Prenons un exemple concret : le syndicat est fondé à agir en justice contre l’employeur qui ouvre le dimanche sans autorisation quand bien même les salariés auraient donné leur accord pour travailler le dimanche. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que l’intérêt collectif n’est pas l’addition d’intérêts individuels. Cela explique la dualité des fonctions.
Mais vous rejetez ce postulat de départ, ce qui vous conduit à répondre à la nécessité de renforcer le dialogue social dans les petites entreprises en proposant un monologue patronal. Seul, de son propre chef, sans avoir à consulter une organisation syndicale ou un représentant, l’employeur pourra proposer un projet d’accord à ses salariés. Vous réduisez en fait la négociation sociale à une simple relation sociale. Vous nous renvoyez ainsi au dialogue social tel que le concevait le patronat au XIXe siècle dans le secteur du textile. En effet, vous n’envisagez plus la négociation collective d’entreprise comme un processus formel reposant sur un engagement mutuel des parties, ainsi qu’elle avait été consacrée dans les lois Auroux de 1982. Les syndicats ne sont désormais plus un partenaire permettant, par la négociation, de conjuguer compétitivité de l’entreprise et droits nouveaux pour les salariés. Nous le regrettons, ce n’est pas notre vision.
Dans les entreprises de moins de vingt salariés, vous décidez purement et simplement de supprimer le droit d’être représenté à un tiers des salariés, lesquels ne pourront plus être défendus.
Nous ne sommes pas les seuls à dénoncer cette ordonnance. Les syndicats réformistes, eux aussi, ont fait part de leur inquiétude. Ce qui les fâche – je cite la représentante de la CFDT que nous avons eu le plaisir d’auditionner en commission des affaires sociales – « c’est tout ce qui concerne, dans les deux premières ordonnances, le dialogue social », c’est-à-dire la quasi-intégralité de ces ordonnances.
Mes chers collègues, au lieu de faire confiance aux acteurs pour aboutir à un compromis satisfaisant pour tous, vous adoptez une vision d’un autre temps : le dialogue social est un mal, certes parfois nécessaire, mais un mal quand même. Dans les petites entreprises, vous faites même un choix encore plus radical : vous enjambez les organisations syndicales et les représentants du personnel.
La modernité que vous portez en bandoulière est trahie dans les actes par le retour à un lointain passé. Face aux attentes des salariés ainsi qu’aux défis de l’ubérisation, de la numérisation et de la robotisation, il est temps d’ouvrir de nouveaux espaces de concertation de négociation, et de codécision.
Vous faites des femmes et des hommes les seules variables d’ajustement d’un monde qui change. Mais il n’y a aucune fatalité à ce que seuls les actionnaires décident de la stratégie d’une entreprise. Nous vous avons proposé à plusieurs reprises d’accroître le nombre d’administrateurs salariés dans les grandes entreprises. Vous l’avez refusé. Que ce soit à l’occasion de l’examen de ce texte ou d’une proposition de loi que nous déposerons dans quelques jours, nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet.
C’est dans ce climat de défiance à l’égard des syndicats que votre deuxième ordonnance traite de la place donnée aux acteurs du dialogue social et aux moyens qui leur sont accordés.
Lors des auditions, tous les syndicats ont souligné le déséquilibre profond de votre texte entre flexibilité et sécurité. Personne ne le réclamait, personne n’en est satisfait. Vous ne cessez de renvoyer la négociation au plus près du terrain en nous demandant de faire confiance à ses acteurs, mais vous vous obstinez à réduire les prérogatives et les droits accordés aux représentants des salariés. Je voudrais en citer quelques exemples : d’abord, la disparition sèche du CHSCT pour lui substituer une commission spécifique santé, sécurité et conditions de travail, qui ne sera obligatoire que dans certains cas ; ensuite, l’inquiétante suppression du droit d’alerte dans les entreprises de moins de cinquante salariés, y compris en cas de danger grave et imminent tel que le harcèlement ; enfin, la remise en cause incompréhensible du droit et de l’accès aux expertises qui sont pourtant un outil essentiel à un dialogue social de qualité.
Chaque fois que nous vous avons alertés, vous avez fait valoir le bon sens – le vôtre – et l’expérience – la vôtre – mais ni l’un ni l’autre ne saurait valoir étude d’impact ou statistiques.
Madame la ministre, aux défis de l’implantation syndicale, du renforcement et du développement du dialogue dans l’entreprise, vous auriez pu répondre différemment : en développant les commissions paritaires régionales interprofessionnelles que vous préférez laisser péricliter ; en instaurant le chèque syndical qui permettrait de renforcer le taux de syndicalisation, partant du principe que les salariés auront envie d’adhérer à un syndicat dès lors qu’ils participeront à son financement ; en proposant des mesures de lutte contre les discriminations syndicales ; en organisant des élections dans les TPE comme cela se fait en Allemagne.
Vous n’avez rien fait de tout cela. À la première proposition, vous répondez que les commissions ne fonctionnent pas alors que l’encre qui en a dessiné les contours est à peine sèche. Quant au chèque syndical, vous y avez renoncé alors que le Président de la République en avait fait une priorité dans son programme – pour le président des promesses tenues, celles-ci sont à géométrie variable. S’agissant de la lutte contre les discriminations, vous nous renvoyez à un groupe de travail qui a surtout été formé pour répondre aux mécontentements de tous les syndicats après la publication de vos ordonnances. Enfin, au quatrième point, vous n’avez pas même songé, la référence au modèle allemand étant là aussi à géométrie variable.
La présence syndicale dans les entreprises est trop faible. Contrairement à ce que vous prétendez, vous ne voyez pas le dialogue social comme un facteur d’amélioration des conditions de travail et de plus grande compétitivité. Vous cédez à la pression du patronat – d’un certain nombre de ses représentants qui nous ont dit en audition que la réforme leur convenait, je cite, « tant qu’elle ne faisait pas rentrer les syndicats chez eux ».
Pourtant, la présence syndicale est nécessaire. Les chiffres et les analyses de votre ministère en attestent. Là où il y a des délégués syndicaux, il y a du dialogue social et des négociations. En effet, le taux de négociation est de 70 % en présence de délégués syndicaux quand il chute à 42 % en leur absence. Cette statistique très intéressante prouve bien que nous avons besoin des syndicats dans l’entreprise. Cette nécessité est rendue plus évidente encore par une autre statistique implacable : alors que 90 % des employeurs pensent que les salariés sont en mesure de défendre directement leurs intérêts, seuls 45 % des salariés partagent cet avis. Il existe bien une divergence de vues entre les acteurs de l’entreprise. En affaiblissant, voire en contournant les syndicats, vous faites un choix clair : celui de la relation sociale dans l’entreprise plutôt que du dialogue social. Ce n’est pas un progrès.
Outre cette vision rétrograde du dialogue social, vos ordonnances convoquent un autre principe : si on peut licencier plus facilement, on embauchera plus volontiers, notamment dans les TPE.
Pourtant, une fois encore, les chiffres montrent que votre diagnostic est erroné. Le dernier baromètre Fiducial-Ifop indique que seuls 9 % des chefs d’entreprise de TPE souhaitent que le licenciement soit plus sécurisé et 6 % d’entre eux que les indemnités prud’homales soient plafonnées. En revanche, ils sont 40 % à souhaiter une baisse des cotisations patronales et salariales. 31 % d’entre eux ne demandent aucune mesure, tout simplement parce qu’ils ne souhaitent pas embaucher. Mais ils sont surtout 71 % à se sentir mal informés sur votre réforme alors même que vous affirmez l’avoir conçue pour eux. Nous allons donc essayer, dans le débat qui s’ouvre, de les éclairer sur vos intentions.
Vous leur proposez d’abord de plafonner les indemnités prud’homales en cas de licenciement irrégulier ou sans cause réelle et sérieuse en introduisant des minima et des maxima. Par cette mesure, vous instaurez un droit au licenciement abusif. Vous faites fi d’un des principes fondamentaux de notre droit obligeant celui qui, par sa faute, a causé un préjudice, à le réparer intégralement. Pour atténuer cette mesure, vous avez annoncé, lors du débat d’habilitation en juillet, une hausse de 25 % de l’indemnité légale de licenciement – nous nous en étions félicités. Mais le décret d’application de septembre revient en partie sur cette avancée puisque l’augmentation ne porte que sur les dix premières années d’ancienneté ; au-delà, le supplément d’indemnisation devient dégressif. Là aussi, on ne peut pas considérer que la promesse soit pleinement tenue.
Dans les petites entreprises, dont je rappelle que seuls 6 % d’entre elles réclament une telle mesure, vous prévoyez des indemnités particulièrement réduites pour les salariés. Vous considérez donc qu’un salarié d’une TPE doit être moins bien traité qu’un salarié d’une grande entreprise ou d’une entreprise de taille intermédiaire.
Prenons l’exemple d’un salarié ayant six ans d’ancienneté : il pourra prétendre à un mois et demi de salaire lorsqu’il aura été licencié abusivement. Compte tenu des plafonds, un salarié ayant moins de six ans d’ancienneté n’aura guère d’intérêt à saisir la justice puisque ses indemnités couvriront à peine ses frais d’avocat ! Voilà la réalité de votre barème, loin des pratiques des tribunaux de prud’hommes jusqu’à aujourd’hui. Cette mesure est d’autant plus injuste que l’ancienneté moyenne des salariés est plus faible dans les petites entreprises que dans les grandes, et souvent inférieure à six ans.
Ensuite, vous réduisez le périmètre d’appréciation de la cause économique. Auparavant, le juge appréciait la réalité de la cause économique du licenciement dans le périmètre de l’ensemble des entreprises du groupe appartenant au même secteur d’activité à l’échelle mondiale. Au motif que ce serait un frein à l’investissement étranger, vous avez décidé de limiter l’appréciation au seul périmètre national, et nous le regrettons.
Enfin, vous créez les ruptures conventionnelles collectives dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Invitée de dernière minute de la réforme, dénoncée par l’ensemble des organisations syndicales, qui craignent pour les salariés les plus âgés, cette mesure dispensera l’employeur de justifier d’un motif économique et privera le salarié de droits en matière de reclassement interne, de congé de reclassement, de contrat de sécurisation professionnelle ou encore de priorité de réembauche.
Toutes ces mesures poursuivent le même objectif : rendre le licenciement moins coûteux pour l’employeur, réduire les risques juridiques qui y sont associés, voire éviter à l’employeur de recourir aux procédures de licenciement économique collectif.
D’autres mesures pourraient être évoquées, mais je sais que le débat parlementaire permettra de les examiner de manière approfondie dans leur ensemble.
Vous convoquez l’intérêt des petites entreprises pour faire passer des mesures qui ne répondent pourtant pas à leurs attentes – les chiffres que j’ai cités sont clairs –, puisqu’il s’agit en fait de demandes patronales formulées par les plus grandes entreprises. Nous le regrettons, comme nous regrettons ce manque de franchise et ce TPE washing.
La flexibilité accrue s’accompagne d’une réduction des droits des salariés. C’est particulièrement le cas – nous avons déjà eu l’occasion de le souligner – en ce qui concerne le compte personnel de prévention de la pénibilité.
La pénibilité est caractérisée par le fait d’être ou d’avoir été exposé au cours de son parcours professionnel à un ou plusieurs risques professionnels susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé. Ces facteurs sont déterminés par décret. Avec cette ordonnance, vous proposez de supprimer le compte personnel de prévention de la pénibilité, lui préférant un compte qui nous renvoie aux prémices des réflexions et des négociations sur cette question fondamentale.
Le rapporteur, sans nous convaincre, n’a eu de cesse de nous renvoyer à l’opposition entre droits réels et droits formels pour justifier les régressions proposées. Il l’a d’ailleurs fait sur d’autres sujets également, mais restons sur le compte pénibilité.
Je tiens à lui rappeler que le compte personnel de prévention de la pénibilité – C3P – est non un droit théorique, mais un droit réel. Depuis son entrée en vigueur en 2015, près d’un million de comptes pénibilité ont été ouverts. Un tiers d’entre eux sont crédités de quatre points, un autre tiers de huit. Peu de personnes sont parties en retraite de manière anticipée, mais cette situation est due au fait que l’utilisation de points n’a été possible qu’à partir de 2016 et que, dans l’attente, les entreprises ont largement pratiqué la sous-déclaration.
Au-delà des chiffres, nous traitons d’un sujet grave. En France, les expositions à la pénibilité sont particulièrement importantes. Travail de nuit, exposition aux mouvements répétitifs, port de charges lourdes, exposition aux produits chimiques, aux températures extrêmes, aux postures douloureuses : autant de données importantes que vous sortez du dispositif en renvoyant à une visite médicale de fin de carrière. Ce faisant, vous changez la philosophie du compte personnel de prévention de la pénibilité, puisque vous préférez la réparation à la prévention.
L’objectif du C3P était d’inciter les entreprises à améliorer les conditions de travail, pas seulement à permettre aux actifs dans des métiers pénibles de partir plus tôt à la retraite. Et voilà que vous réduisez de dix à six le nombre de facteurs, pour lesquels les modalités de déclaration ne changent pas !
Exit aussi le principe « pollueur-payeur ». Vous chargez désormais la branche Accidents du travail et maladies professionnelles d’assurer la gestion du compte professionnel et d’en gérer les dépenses, alors que le financement par la création d’un fonds abondé par deux cotisations patronales traduisait la solidarité interprofessionnelle qui doit s’exercer au titre d’un risque qui, même concentré dans certains secteurs et certains types d’activité, reste inhérent à l’activité économique. Cette solidarité permettait aussi de responsabiliser les employeurs en les incitant financièrement à se mobiliser : s’ils souhaitaient payer des cotisations moins élevées, il leur suffisait de réduire l’exposition de leurs salariés aux risques.
Pire, en renvoyant la mesure de l’exposition des trois critères dits ergonomiques à une visite médicale a posteriori, vous nous avez fait faire un bond sept ans en arrière. Pour bénéficier d’un départ anticipé, les travailleurs exposés devront s’être vu reconnaître, du fait de leurs conditions de travail, une incapacité permanente égale ou supérieure à 10 % et ce, sans condition spécifique quant à la durée d’exposition. La réalité, c’est que les personnes se retrouveront en pension d’invalidité et que vous transférez de fait le coût de la pénibilité sur l’assurance maladie. Vous le mutualisez et vous en exonérez les entreprises qui y exposent leurs salariés.
Je souligne d’ailleurs qu’il s’agit d’une terrible injustice entre les employeurs, puisqu’il n’y aura plus de différence entre les bons élèves, qui ne seront plus incités à le rester, et les cancres, qui pourront le demeurer.
Mes chers collègues, avec cette réforme, vous tournez le dos à deux éléments essentiels : la justice sociale et l’égalité entre les employeurs. Vous passez d’un système de prévention et de réparation, à un petit système de réparation en transférant à la collectivité le coût de votre compte professionnel de prévention – C2P.
Je tiens enfin à revenir sur les risques juridiques que comporte votre texte au regard de la Constitution et des conventions internationales ratifiées par la France.
La première inquiétude concerne le contournement des partenaires sociaux et le renforcement du pouvoir unilatéral de l’employeur. Le projet de loi d’habilitation n’autorisait la validation que d’un accord et non pas d’un projet d’accord, qui n’est pas le fruit d’une négociation préalable. À notre sens, vos dispositions excèdent donc le champ de l’habilitation.
De plus, ces dispositions violent le principe de participation prévu à l’alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946, lequel dispose que « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. », ainsi que le principe de la liberté syndicale garanti par l’alinéa 6 du même préambule. Ce principe de participation est violé à double titre, d’abord par l’absence de toute négociation collective préalable du projet soumis à un référendum, ensuite par la mise à l’écart des représentants des travailleurs.
La seconde inquiétude concerne le conseil d’entreprise. On pouvait déjà s’interroger sur la constitutionnalité et la conventionnalité de celui-ci en ce que le texte énonçait qu’il est seul compétent pour négocier, conclure et réviser les conventions et accords d’entreprise, à l’exception de quelques cas. Selon nous et selon plusieurs organisations syndicales, cette disposition constitue une restriction excessive au principe de liberté syndicale énoncé à l’alinéa 6 du préambule de la Constitution de 1946, que j’ai évoqué. Elle pourrait aussi être jugée contraire à la convention no 135 de l’OIT.
En effet, comme vous le savez, dans sa décision du 6 novembre 1996, le Conseil constitutionnel a considéré, à propos de la négociation avec d’autres agents dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, qu’il résulte des alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution que, si le monopole syndical de négociation n’a pas valeur constitutionnelle, les syndicats ont une vocation naturelle à négocier et à conclure les accords collectifs et qu’en conséquence, ne sont conformes à la Constitution les dispositions instituant ces autres agents que si elles n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l’intervention des organisations syndicales. Or le monopole accordé au conseil d’entreprise nous paraît désormais y faire obstacle.
Madame la ministre, je terminerai en soulevant un point de méthode concernant ces ordonnances.
Lors d’une conférence organisée par un cabinet d’avocats spécialisé en droit social, le 15 novembre dernier, le conseiller social du Premier ministre a affirmé qu’il y aurait une sixième, puis une septième et peut-être même une huitième ordonnance pour corriger les coquilles.
Lors de l’examen en commission du projet de loi de ratification, vous avez affirmé qu’il n’y aurait qu’une sixième ordonnance dont la majeure partie serait consacrée « à des renvois techniques et à des toilettages nécessaires pour assurer une mise en cohérence ». « Sur quelques points, avez-vous ajouté, des éléments ont pu être mal rédigés, conduisant donc à un défaut de compréhension – jusqu’à présent, deux cas ont été repérés. »
Le conseiller social du Premier ministre parle de trois ordonnances supplémentaires, quand vous ne faites état que d’une seule. Qui dit la vérité ? Qu’en est-il, madame la ministre ?
De plus, vous avez indiqué à la représentation nationale que l’ordonnance dont vous parlez serait connue avant la commission mixte paritaire et la ratification finale des ordonnances que nous examinons. Là encore, si c’est bien le représentant de Matignon qui a raison, je ne vois pas comment ces engagements pourraient être tenus. J’aimerais obtenir des éclaircissements sur ce point.
Mes chers collègues, ces ordonnances sont fainéantes, dangereuses et à bien des égards régressives. Elles n’établissent aucun droit nouveau pour les salariés. Elles n’entendent pas satisfaire le désir d’autonomie des individus tant dans la construction de leur parcours professionnel que dans la conciliation avec leur vie personnelle, tout en leur apportant des sécurités et des garanties collectives. Elles ne rééquilibrent pas non plus le rapport de forces déséquilibré dans l’entreprise, notamment avec la montée en puissance de la financiarisation. Elles ne réconcilient pas les besoins des entreprises et des salariés dans un monde qui change. Non, elles ne comportent rien de tout cela.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous invitons à voter la motion de renvoi en commission, afin que nous puissions nous remettre au travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes NG, FI et GDR.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre
Je répondrai, sinon sur le fond, du moins sur la méthode, sur laquelle M. Vallaud m’a interrogée. L’ordonnance de cohérence légistique, la fameuse sixième ordonnance, sera publiée d’ici à la fin de l’année. Il s’agit bien de celle qui était prévue dans la loi d’habilitation.
Elle contiendra deux types de dispositions.
Les premières concernent la mise en cohérence du code. Le texte contient beaucoup de renvois à d’autres codes, qui ne pouvaient techniquement être achevés à temps pendant l’été, et qui sont en cours de finalisation. C’est ce que nous avions annoncé et prévu dans le cadre de la loi d’habilitation.
Les secondes dispositions apporteront des précisions très limitées, qui nécessitent une entrée en vigueur rapide. Pour l’instant, nous n’en avons repéré que deux : l’absence de limite à la négociation pour le conseil d’entreprise – il s’agit de faire rapidement entrer en vigueur un amendement adopté en commission, qu’il était donc impossible de prévoir cet été – ; les modalités de maintien du salaire des salariés qui partent en formation syndicale. À cet égard, la rédaction était imprécise. Il convient de la corriger sans modifier le fond du texte. Ce sera l’objet de la sixième ordonnance.
À la suite de la négociation au sujet de la directive européenne sur les travailleurs détachés, viendra une ordonnance sur le détachement des travailleurs. Celle-ci arrivera plus tard. Nous ignorons encore le calendrier, qui reste à fixer, mais nous avions prévu ce texte dans la loi d’habilitation.
Voilà les éléments de méthode que je tenais à préciser.
M. Boris Vallaud
Merci !
M. le président
Souhaitez-vous intervenir, monsieur le rapporteur ?
M. Laurent Pietraszewski, rapporteur
Non, monsieur le président.
M. le président
Nous en venons aux explications de vote sur cette motion de renvoi en commission.
La parole est à M. Guillaume Chiche, pour le groupe La République en marche.
M. Guillaume Chiche
Monsieur Vallaud, nous avons beaucoup de choses en commun.
M. Fabien Di Filippo
M. Vallaud n’en a pas l’air convaincu !
M. Guillaume Chiche
Lors de nos travaux en commission, vous avez souvent rappelé l’importance d’encourager le dialogue social et le débat démocratique. J’ai la conviction que c’est ce que nous avons fait et ce que nous faisons actuellement.
Ces échanges et ces discussions, nous les avons eus pendant plusieurs jours, au cours des semaines précédentes. Je comprends que vous souhaitiez retourner en commission où nous avons pu aborder l’ensemble des sujets au cours d’un débat de bonne qualité. Néanmoins, je ne partage pas votre demande.
En commission, nous avons précisé que le plafonnement des indemnités prud’homales ne s’appliquerait pas en cas de rupture de contrat due à des manquements graves de l’employeur : harcèlement moral, sexuel ou discrimination.
En commission, nous avons aussi permis aux entreprises de lancer des plans de départs volontaires autonomes en dehors des plans sociaux, au sein desquels l’accord doit prévoir le niveau d’indemnité de tous les salariés volontaires. Jusqu’à présent, la séparation à l’amiable n’était conclue qu’individuellement. Nous avons donc ouvert un droit supplémentaire.
Nous avons également sécurisé l’augmentation des indemnités légales de licenciement. On parle – Mme la ministre l’a rappelé – d’une hausse de 25 %.
Enfin, en commission, nous avons adopté un amendement tendant à ouvrir le dispositif de formation des membres du CSE aux représentants de proximité. Vous vous souvenez forcément de cet amendement, monsieur Vallaud, puisque c’était le vôtre. Vous avez par conséquent participé à l’enrichissement du projet de loi.
Le débat en commission a été honoré et riche. Ce soir, vous voulez restaurer un clivage politicien là où les Français veulent des réponses concrètes. Les mesures que contient le texte sont attendues tant par les entreprises que par les salariés. Il est désormais de notre responsabilité de les engager.
Je vous l’ai dit : je comprends que vous ayez tant apprécié nos débats en commission que vous souhaitiez les prolonger, mais il est temps de laisser la discussion prendre toute sa place en entreprise. C’est pourquoi j’appelle nos collègues à rejeter la motion de renvoi.
M. le président
La parole est à M. Gilles Lurton, pour le groupe Les Républicains.
M. Gilles Lurton
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nous ne voterons pas la motion de renvoi en commission présentée par le groupe Nouvelle Gauche.
D’abord, nous pensons qu’un dialogue peut s’instaurer dans l’entreprise entre le salarié et l’employeur, et que ce sont les deux acteurs les plus capables de se parler et de nouer un dialogue de qualité pour avancer dans le traitement de problèmes qu’ils connaissent mieux que tout autre. Si les choses devaient mal se passer, ou que le salarié se sente en situation d’infériorité pour défendre ses propres intérêts, rien ne l’empêchera demain, pas plus qu’aujourd’hui, de se faire assister par le représentant syndical de son choix.
Ensuite, pour ce qui est de la fusion des comités d’entreprise et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, nous pensons que, dans bon nombre d’entreprises, il faut simplifier les structures et que les problèmes doivent être abordés de façon plus globale.
Par ailleurs, s’agissant des contrats à durée déterminée et des contrats de chantier, nous sentons bien, dans nos circonscriptions, la nécessité pour les entreprises de bénéficier de plus de souplesse. À nos yeux, ce sont les branches qui connaissent le mieux la réalité des secteurs. Nous pensons donc que la nouvelle possibilité offerte aux entreprises peut contribuer à relancer l’emploi. De fait, qui, parmi nous, n’a pas rencontré, sur le terrain, un chef d’entreprise qui hésite à recruter alors qu’il a du travail, de peur de devoir débaucher par la suite, faute d’activité ?
Enfin, il est un dossier dont nous avons longuement parlé sous la précédente législature : la pénibilité, prise en compte par la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites. Plusieurs missions ont été consacrées à l’application des dispositions relatives à la pénibilité, qui n’ont toutefois pas permis de trouver une solution à la fin du quinquennat précédent. Aujourd’hui, nous voyons bien que les conditions qui avaient été définies pour la prise en compte de la pénibilité étaient totalement inapplicables.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas cette motion de renvoi en commission.
M. le président
La parole est à M. Patrick Mignola, pour le groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
M. Patrick Mignola
Je ferai tout d’abord une observation de forme. Si j’ai bien compris son argumentaire, M. Vallaud nous propose de renvoyer le texte en commission pour redéfinir l’esprit des ordonnances, les réécrire de fond en comble.
M. Boris Vallaud
Vous avez bien compris !
M. Patrick Mignola
Cela nous conduirait à nous éloigner assez largement de la loi d’habilitation. Or, nous devons déterminer si le projet de loi de ratification est conforme à la loi d’habilitation que nous avons votée. Votre motion créerait donc une difficulté juridique et se heurterait, à tout le moins, à un problème de cohérence.
Sur le fond, je suis en profond désaccord avec vous lorsque vous affirmez que ces ordonnances casseraient le dialogue social. Je pense qu’au contraire, elles vont très largement l’amplifier. Ce sera d’abord le cas dans les PME. Est-il besoin de rappeler – ce sont de bons connaisseurs de la chose sociale qui sont réunis ici ce soir – que seules 4 % des PME ont des délégués syndicaux ? En rouvrant la possibilité pour les PME de conclure des accords d’entreprise, nous relancerons le dialogue social. Par ailleurs, le dialogue social a besoin de grain à moudre. Je comprends assez mal comment on peut soutenir qu’on l’affaiblira quand, précisément, on entend relancer la possibilité de conclure des accords d’entreprise, des accords de branche, de restructurer les branches pour les rendre plus efficaces. Je pense que vous faites là un contresens. Notre profond désaccord explique pourquoi le Mouvement démocrate et apparentés ne s’associera pas à cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur plusieurs bancs du groupe REM.)
M. le président
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo, pour le groupe Les Constructifs : républicains, UDI, indépendants.
Mme Agnès Firmin Le Bodo
Le groupe Les Constructifs est convaincu du bien-fondé des dispositions des ordonnances relatives à l’accroissement du dialogue social, en particulier concernant les TPE et PME. Elles permettent en effet de libérer le dialogue social en lui offrant un cadre plus souple. Surtout, ces ordonnances se caractérisent par un changement de regard sur les entreprises, qui ne sont plus considérées comme un lieu d’opposition et de conflit, mais comme un cadre dans lequel employeur et salariés négocient en vue d’un intérêt commun.
M. Pierre Dharréville
Ça, c’est vous qui le dites !
Mme Agnès Firmin Le Bodo
Par ailleurs – c’était une demande particulière des petites entreprises –, l’ensemble des mesures relatives aux droits des salariés restent déterminées par la branche.
Je voudrais également insister sur la barémisation des indemnités de licenciement en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui était une demande spécifique des petites entreprises.
M. Boris Vallaud
C’est inexact !
Mme Agnès Firmin Le Bodo
Trop souvent, celles-ci n’embauchaient pas en raison des trop grandes incertitudes liées à l’avenir. Le coût lié à ce type de licenciement pouvait même se révéler désastreux pour les petites entreprises et conduire à leur fermeture.
Tout en redisant, madame la ministre, notre déception de ne pas avoir été associés à la rédaction des ordonnances, nous saluons les discussions menées avec les organisations syndicales. Notre groupe votera contre cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe LC.)
M. le président
La parole est à M. Christian Hutin, pour le groupe Nouvelle Gauche.
M. Christian Hutin
En écoutant Boris Vallaud évoquer, dans le cadre de sa brillante démonstration, les entreprises textiles du XIXe siècle, je pensais à mes ancêtres. La généalogie est à la mode ; je me suis moi-même un peu intéressé à celle de ma famille, cet été, et m’est revenu en mémoire que mes arrière-grands-parents étaient manouvriers. Autrement dit, ils louaient leurs bras au jour le jour, dans les fermes : pas de contrat de travail, aucune sécurité. Un siècle de combats syndicaux, de combats politiques dans cet hémicycle, de combats humains, ont permis d’établir un mur de protection pour ces salariés. Vous souhaitez aujourd’hui abattre une partie de ce mur, ce que nous regrettons, et en construire d’autres, qui deviendront autant d’obstacles pour les syndicats et réduiront les possibilités de protection. Nous ne pouvons que lutter contre cela.
Par ailleurs, deux coins se sont déjà fait jour, qui dérogent à certaines dispositions des ordonnances, concernant les chauffeurs routiers et les dockers. Je m’en félicite, notamment pour les dockers – je pense à ceux de Dunkerque. Si ces ordonnances, avant même leur ratification, suscitent un certain nombre de difficultés d’application, au point que plusieurs dispositions ne sont déjà plus d’actualité, d’autres professions ne risquent-elles pas de demander le bénéfice de dérogations similaires, ce qui contribuerait à protéger les salariés dans d’autres domaines ? Et cela ne justifie-t-il pas, en soi, un renvoi en commission ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NG.)
M. le président
La parole est à M. François Ruffin, pour le groupe La France insoumise.
M. François Ruffin
Nous voterons le renvoi en commission. Chaque salarié a peur. Christophe, de la Halle aux chaussures, à Longueau, me disait, la semaine dernière : « Dès que vous levez la main, ou on vous tape dessus, ou vous la rabaissez ! » J’ai rencontré des salariés d’une entreprise du bâtiment, sur le parking de Lidl, à Rue. Sur les trente-sept personnels de l’entreprise, six étaient présents, qui me disaient que les autres ne viendraient pas, car ils ont peur. D’ailleurs, madame Pénicaud, vous êtes intervenue sur ce dossier. Pour ma part, j’ai accompagné les salariés de Lidl chez un avocat, et on m’a répété qu’ils avaient peur et que c’étaient les conjoints qui exprimaient leur malaise. Un syndicaliste me confiait que ça lui rappelait Roger Gicquel dans les années 1970 : « La France a peur ! » Évidemment, moi, ça me rappelle plutôt Henri Krasucki, qui affirmait, à propos du chômage : « La peur a changé de camp. »
Un député du groupe REM
C’est un peu daté !
M. François Ruffin
La France a peur : une peur qui ronge les cœurs, qui rétrécit les esprits, qui enlaidit le pays. Alors, comme Jean-Paul II (Exclamations sur divers bancs), j’aurais envie de crier : « N’ayons plus peur ! ». Je voudrais que la peur change de camp. Mais vous, madame la ministre, à l’inverse, avec cette loi anti-travail, vous renforcez la peur, vous ôtez aux salariés leurs défenses. Pour vous, la flexibilité, c’est pour tout de suite, tandis que la sécurité est renvoyée aux calendes grecques. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI,GDR et NG.)
M. le président
La parole est à M. Hubert Wulfranc, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Hubert Wulfranc
Le groupe GDR votera ce renvoi en commission, car il n’y a pas de petits profits : à défaut de rejet du texte, son renvoi en commission permettrait, comme l’a indiqué Pierre Dharréville, d’opposer à la logique patronale, que vous épousez, les contre-feux que les organisations syndicales nous ont demandé de porter jusqu’au terme de cette discussion. Nous présenterons une série d’amendements en ce sens. Quelle que soit l’issue des votes, sachez, madame la ministre, mesdames, messieurs les membres de la majorité, que ce dossier ne sera pas clos. En effet, en enclenchant, sur ce plan comme sur beaucoup d’autres, la révolution libérale – je veux parler de vos fameuses réformes structurelles –, vous rendez plus aigus les conflits de classes, qui sont la réalité quotidienne, tout en affaiblissant la valeur travail, et donc la capacité, pour la France, de retrouver la voie d’une croissance sociale et économique durable. Pour ces raisons, nous soutiendrons cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)
Discussion générale
M. le président
Dans la discussion générale, la parole est à M. Aurélien Taché.
M. Aurélien Taché
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nous avons aujourd’hui à connaître du projet de loi de ratification des ordonnances prises par le Gouvernement le 22 septembre dernier. Avec ces textes, nous donnons à nos PME les moyens de se développer et de créer de l’emploi, et nous misons sur le dialogue social, car nous savons que, partout où il est présent, les résultats sont au rendez-vous. Dans ce combat pour l’emploi, chacun assume une part de responsabilité. Avec ce texte, nous faisons confiance aux entreprises en tant que collectif humain. Nous leur disons que, maintenant, c’est à elles de jouer, qu’elles doivent s’emparer des outils que nous leur proposons pour bâtir l’entreprise de demain. Nous sommes convaincus que c’est la bonne manière de s’attaquer au chômage, de redonner du sens au travail ; nous sommes persuadés qu’une entreprise moderne et performante est une entreprise démocratique et sociale.
Pour cela, nous ouvrons la voie à un nouveau modèle de dialogue social à la française. D’abord, en donnant plus de place à la négociation collective dans la définition de la norme. Les branches, et pas seulement l’entreprise comme on l’entend parfois, verront leur rôle renforcé. L’aménagement des horaires de travail, le recours aux CDI de projet, la mise à disposition de salariés entre entreprises : tout cela sera désormais défini dans le cadre de la branche. Composée des organisations représentatives, patronales et syndicales, c’est elle qui connaît la réalité du secteur et qui constitue le bon niveau de régulation. La branche prendra également en compte les spécificités des TPE et PME, afin de mieux les protéger. Par ce gage d’humilité, les parlementaires que nous sommes reconnaissent n’être pas les mieux placés pour imposer aux acteurs économiques et sociaux des normes parfois déconnectées de leur quotidien.
Pour être encore plus près des réalités, nous accélérons aussi la fusion des branches. De 700, elles passeront à 200 d’ici à la fin 2019 : moins nombreuses, elles seront tenues de négocier et auront les moyens de le faire. C’est cela, faire confiance aux salariés et à leurs représentants, plutôt que sans cesse prétendre pouvoir décider à leur place.
Cette prépondérance du dialogue social devra continuer dans l’entreprise : l’accord d’entreprise permettra de négocier au plus près du terrain. Ce n’est par exemple pas à la loi, ni à la branche d’organiser le recours au télétravail, nouveau droit ouvert aux salariés par les ordonnances.
Nous accorderons aussi aux entreprises les moyens d’organiser le dialogue social dans de bonnes conditions. La fragmentation de la représentation en dilue la force. C’est pour cela que nous avons rassemblé les trois anciennes instances de représentation des salariés dans le comité social et économique. En rassemblant les compétences des anciens délégués du personnel, du CHSCT et du comité d’entreprise au sein du comité social et économique, nous créons un lieu unique où tous les aspects de la vie de l’entreprise peuvent être discutés. Surtout, nous ouvrons la possibilité aux entreprises d’aller plus loin en conférant au comité social et économique la capacité de négocier, en y intégrant les délégués syndicaux, le transformant ainsi en un véritable conseil d’entreprise. Syndicats et dirigeants doivent se saisir de cette opportunité qui ouvre la voie à un nouveau modèle d’entreprise, fondé sur la codécision. Demain, sur tous les grands sujets comme la formation, l’égalité professionnelle, mais aussi la grille des salaires ou les normes du bien-être au travail, salariés et chef d’entreprise devront décider ensemble. L’entreprise deviendra alors, réellement, un bien commun.
Tout cela constitue un renforcement sans précédent des moyens du dialogue social. Il pourra aussi se tenir, demain, dans des TPE et PME, en permettant, là où les syndicats sont malheureusement – je dis bien malheureusement – absents, de conclure des accords avec les représentants des salariés ou par le biais de référendums d’entreprise. De fait, nous sommes convaincus que les syndicats sont des acteurs majeurs de la démocratie sociale, même si, à l’image des mouvements politiques, ils doivent se réinventer et dépasser un certain nombre de clivages pour que les Français aient envie de s’y engager.
C’est pourquoi la majorité est également très attentive à la valorisation des compétences des délégués syndicaux. Nous savons bien que l’engagement syndical peut fermer des portes dans l’entreprise, et parfois même donner lieu à des discriminations. Pour favoriser les parcours professionnels des élus du personnel, nous mettrons en place des dispositifs de valorisation de leurs compétences. Nous voulons également suivre le développement de la négociation et de ses pratiques par la mise en place d’un observatoire du dialogue social, qui pourra identifier les meilleures pratiques, favoriser leur diffusion dans l’ensemble des branches et alerter sur les cas de discrimination syndicale. Voilà, mes chers collègues, la teneur du message que nous adressons aux entreprises.
Cette loi est une loi de confiance. Nous faisons confiance aux entreprises pour s’organiser, dialoguer et décider collectivement et dans le cadre de la loi, de la meilleure manière de se développer. En effet, il est facile de comprendre qu’aujourd’hui, une entreprise doit avoir les moyens d’adapter sa capacité de travail à une commande de dernière minute. Avec ce texte, les entreprises ont cette capacité ; elles ont les cartes en main pour évoluer dans une économie de l’innovation, ouverte, et pour augmenter le nombre d’emplois disponibles dans notre pays.
Au total, mes chers collègues, en multipliant les voies d’accès à l’emploi, en facilitant le recours au CDI, nous ne mettons pas fin au principe de faveur : tout au contraire, nous l’élargissons aux 2,7 millions de Français qui se trouvent actuellement au chômage. Et en procédant à ce que vous appelez « l’inversion de la hiérarchie des normes », nous affirmons simplement qu’en matière de droit social, le meilleur législateur, c’est le salarié. (Applaudissements sur les bancs du groupe REM.)
M. le président
La parole est à M. Gérard Cherpion.
M. Gérard Cherpion
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après la loi d’habilitation à prendre des ordonnances pour réformer le code du travail, lesquelles ont été publiées en septembre, vous nous demandez aujourd’hui, madame la ministre, de les ratifier.
Ces cinq ordonnances modifient grandement la législation du travail. Alors que notre pays est touché par un chômage de masse, avec toujours plus de six millions de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi – dont un million supplémentaire entre 2012 et 2017 –, et alors que le chômage progresse encore aujourd’hui, il était urgent de mener cette réforme. Les Républicains sont bien conscients de cette urgence. Nous avons appelé durant les cinq dernières années le Gouvernement à agir, afin de réformer notre code du travail, qui faisait plus le bonheur des avocats spécialisés que celui des salariés et des chefs d’entreprise. Sa complexité et sa lourdeur sont des freins au développement de l’emploi. Les Républicains ont ainsi fait de nombreuses propositions pour y parvenir, préparant ainsi le terrain à des ordonnances. Notre groupe a voté pour l’habilitation à prendre ces ordonnances. Comment pouvait-il en être autrement ? Pendant la dernière législature nous avions préconisé ce que vous proposez.
Vos efforts ne doivent toutefois pas s’arrêter là. Nos entreprises n’ont pas seulement besoin de plus de liberté et de plus de sécurité, mais aussi d’un environnement propice à leur développement et à leur compétitivité, à travers la réglementation et la fiscalité. Nous serons attentifs à toujours défendre leur développement car ce sont elles qui créent l’emploi et la richesse de la France.
Je suis satisfait, madame la ministre, que la commission ait adopté un amendement de notre groupe, visant à préciser qu’en cas de fraude, le périmètre d’appréciation des difficultés économiques de la filiale française d’une multinationale doit être porté hors des frontières nationales. Certains considèrent cela comme de la loi bavarde, mais au vu de l’importance du sujet, la précision me paraît importante.
Un amendement du rapporteur a encadré l’ensemble du dispositif de l’accord de rupture conventionnelle collective. Comme le dispositif de rupture conventionnelle individuelle, il devrait répondre favorablement à certaines situations. Nous devons toutefois être vigilants afin que cet accord ne soit pas détourné en un moyen de se séparer de certains salariés plus facilement, notamment les plus fragiles. Je ne doute pas que les préfets et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi – DIRECCTE – s’assureront de la validité de l’accord, en procédant à un examen approfondi et attentif. Le groupe Les Républicains a déposé un amendement en ce sens, sans ajouter de complexité au dispositif.
Par ces ordonnances, vous harmonisez les accords de compétitivité. Étant un défenseur de ces accords, et m’étant investi depuis plusieurs années pour la conclusion d’accords offensifs, je ne peux que saluer cette disposition. Toutefois, ces accords sont extrêmement flexibles sans pour autant sécuriser le salarié, allant jusqu’à la possibilité de baisser les salaires. Notre groupe proposera ainsi des amendements pour pallier ce manque de sécurisation. Il ne faut en effet jamais oublier que la force de l’entreprise réside, comme vous l’avez rappelé madame la ministre, dans les hommes et les femmes qui la composent, chef d’entreprise et salariés.
En ce qui concerne le compte de prévention de la pénibilité, il ne comporte plus que six facteurs, et nous saluons cette simplification. Toutefois, nous n’approuvons pas le transfert du financement du compte vers la branche Accidents du travail et maladies professionnelles, AT-MP, de la Sécurité sociale. Les cotisations AT-MP vont augmenter en raison des quatre nouveaux risques qui sortent de ce compte et qui entrent dans le mécanisme d’incapacité. Cette dépense supplémentaire pourrait, à terme, déséquilibrer les comptes de la Sécurité sociale, même si la branche AT-MP est actuellement excédentaire. Si prévention et réparation sont liées, il ne nous paraît pas justifié d’imputer le coût du compte de prévention à la Sécurité sociale. Nous avons ainsi déposé un amendement visant à rétablir le fonds de financement spécial du compte.
Enfin, alors que le Président de la République a déclaré l’égalité entre les femmes et les hommes comme grande cause nationale, le Gouvernement est revenu sur un certain nombre d’acquis, comme la suppression des fondamentaux de l’égalité professionnelle, à savoir les indicateurs de l’ancien rapport de situation comparée, qui figuraient dans la nouvelle base de données économiques et sociales. L’égalité entre les femmes et les hommes est un combat qu’il convient de continuer. Notre groupe a proposé deux amendements en ce sens.
Sur les autres sujets, le groupe Les Républicains est plutôt satisfait. Je ne citerai que le plafonnement des indemnités prud’homales, la fusion des instances représentatives du personnel, l’articulation des niveaux de négociation en confirmant le rôle de la branche tout en libérant les entreprises, ou encore la facilitation de la négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical.
Toutefois, le sujet des seuils sociaux est le grand absent de cette réforme. Ceux-ci n’ont absolument pas été abordés et resteront donc un frein au développement des entreprises, même si leur effet a été lissé en matière de négociation.
Permettez-moi, en dernier lieu, madame la ministre, de vous féliciter de la concertation avec les partenaires sociaux, mais de regretter le manque de concertation avec les parlementaires. Au lieu de proposer d’apporter les modifications nécessaires aux ordonnances dans ce texte de ratification, vous allez publier une sixième ordonnance « balai » pour corriger les coquilles des cinq autres ordonnances et, certes aussi, les mettre en cohérence. À croire que vous souhaitez éviter le Parlement ! Je préfère mettre cela sur le compte de la précipitation et de l’action, mais j’espère vraiment que ces erreurs ne se reproduiront pas dans les futures réformes sociales. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le président
La parole est à M. Patrick Mignola.
M. Patrick Mignola
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, ce n’est pas le code du travail qui crée seul des emplois, c’est l’entreprise. Ce n’est pas l’entreprise qui crée seule des emplois, c’est son carnet de commandes. Ce n’est pas le carnet de commandes qui crée seul des emplois, c’est la compétence et l’adéquation des candidats à l’emploi, aux emplois qui sont à pourvoir. Mais ce n’est même pas la compétence qui crée seule des emplois, c’est la confiance.
M. Alexis Corbière
Et les salariés ?
M. Patrick Mignola
Et cette confiance est le fruit de bons carnets de commandes, de bonnes entreprises – et dans l’entreprise, il y a à la fois les salariés et les employeurs, ce constat traduisant une vraie différence de vision entre nous, chers collègues qui siégez à la gauche de cet hémicycle –, et, oui, de règles nouvelles, claires et justes pour les acteurs économiques.
Certes, nous avons la chance de connaître un regain de confiance, dont nul ne peut prétendre qu’y sont totalement étrangers l’élection du nouveau Président de la République, la cohérence du Gouvernement et le cap fixé par notre majorité d’une combinaison nouvelle de l’efficacité économique et de la justice sociale. C’est un bien précieux. C’est à nous tous de l’étayer et de l’amplifier par des réformes concrètes. Cette loi de ratification porte réforme concrète. Mais nous devons surtout l’inscrire dans un projet social fort. Dire où on va pour avoir envie d’y aller tous. Ce projet, pour le Mouvement démocrate, s’appuie sur deux principes.
D’abord, la reconnaissance de chacun dans sa situation particulière et dans son chemin de vie, qui est une promesse de renouer avec la République des individus, ou plus sûrement des personnes, telle qu’elle s’était forgée contre l’Ancien Régime qui en faisait des sujets. Tous différents, tous importants, tous considérés. Et ensuite, la reconnaissance que ces personnes participent par leur singularité, par leur engagement et par leur travail, à un bien commun, à un projet collectif, qui rend la communauté nationale plus forte. La France n’est jamais mieux elle-même que quand elle entraîne chacun dans une destinée commune. Tous différents, tous reconnus, mais tous partie intégrante d’un destin partagé.
La pierre angulaire de ce projet social est l’éducation. Le Gouvernement a impulsé un changement de paradigme, avec exigence et ambition, pour donner aux plus jeunes les connaissances et l’esprit qui permettent les conquêtes. Vous avez engagé, madame la ministre, l’évolution de la formation et de l’apprentissage, avec la même méthode de concertation et de confiance en la représentation syndicale, pour permettre l’approfondissement des compétences, donner des chances de rebond et s’adapter aux mutations rapides d’une société économique où nous exercerons tous plusieurs métiers différents au cours de la vie.
Car quels que soient les bancs où nous siégeons dans cette assemblée, nous rencontrons tous les jours des chômeurs, qui ne sont pas tous des fainéants en vacances, mais au contraire des citoyens malheureux qui se sentent déclassés et sont souvent désespérés, et nous rencontrons aussi tous les jours des entrepreneurs ou des DRH qui cherchent des salariés mais ne les trouvent pas. Il est quand même temps de remettre le corps social à l’endroit et de cesser de prétendre qu’il ne faut toucher à rien quand ce corps gronde et se ronge depuis des décennies de postures et de blocages, qui ont conduit à un immobilisme dont les plus fragiles et les moins mobiles sont les victimes ! Pour cela, oui, il faut changer la donne de la transmission des savoirs et de l’apprentissage des métiers. Et oui, il faut faire de la reconnaissance du travail la priorité.
Car en plus de l’éducation et la formation professionnelle, notre projet social passe par l’amélioration du pouvoir d’achat, grâce à une meilleure rémunération du travail et des baisses d’impôt. C’est ce que nous avons fait tout à l’heure en votant le budget. Car un peu plus d’argent, cela reste important pour la dimension matérielle – arrêtons nos pudeurs mal placées : oui, un peu plus de salaire et un peu moins de taxe d’habitation peuvent participer au bonheur –, mais aussi pour la reconnaissance de l’effort, du mérite et de la qualité de chacun.
Et avec l’éducation, la formation tout au long de la vie et le pouvoir d’achat, les règles qui régissent le travail et le dialogue social sont le levain de l’ensemble de cette nouvelle donne sociale. C’est pour cela que nous avons commencé, dès cet été, par la transformation du code du travail. C’est pour cela qu’une majorité de la représentation nationale a habilité le Gouvernement à la faire vite, par ordonnances. Elle est la première traduction de ce projet social, qui vise une meilleure reconnaissance de chacun dans sa situation particulière et la contribution de tous à de nouveaux équilibres sociétaux. Elle donne la possibilité d’adapter, au cœur de chaque entreprise, des accords d’organisation, de conditions de travail et de rémunération.
Que l’on soit salarié sédentaire, employé en télétravail ou personnel en déplacement, que l’on soit entrepreneur, travailleur indépendant ou prestataire auprès d’employeurs multiples ou temporaires, le code du travail nous concerne. Que l’on exerce dans des métiers de toujours, ceux que nous allons aider à retrouver une attractivité, tels l’agriculture, la construction ou l’hôtellerie-restauration, ou que l’on exerce dans les métiers de demain, comme les systèmes d’information, le numérique, la robotique et l’intelligence artificielle, le code du travail nous concerne.
En libérant les accords d’entreprise, nous reconnaissons les travailleurs dans leur diversité, nous sortons de l’uniformité qui ignore la particularité d’un secteur économique ou la spécificité d’un territoire, nous rompons avec cette impression qu’ont souvent nos concitoyens que la loi n’est pas faite pour eux, ou même parfois qu’elle est faite contre eux, tant elle les entrave, en tout cas qu’elle est faite loin d’eux, et nous passons pour des Parisiens myopes ou des personnes enfermées dans nos tours d’ivoire – pardon pour les Parisiens myopes, il y en a sans doute dans l’hémicycle, mais c’est simplement une image !
Pour autant, nous n’organisons pas la jungle d’un libéralisme débridé. Et il ne suffit pas de répéter tous les jours que ces ordonnances inversent la hiérarchie des normes pour que cela devienne vrai. Car c’est faux ! La loi demeure pour garantir les droits fondamentaux et le cadre commun. Elle est là pour tenir la promesse républicaine autant que lutter contre toutes les évolutions moins-disantes et tous les dumpings sociaux. La branche demeure, car dans certains domaines ou certaines activités, c’est bien à l’échelon de la branche et non à celui de l’entreprise qu’efficacité économique et justice sociale peuvent le mieux se conjuguer.
Mais la liberté existe enfin, pour toutes les entreprises, de faire reconnaître des accords qui s’adaptent à leur taille, à leur capacité de représentation et à des modalités différentes de dialogue, et de lever des blocages en recourant au vote démocratique de tous les salariés.
L’entreprise est une force qui va. C’est le mouvement, une remise en question quotidienne et une évolution régulière et impérieuse de son modèle pour s’adapter aux attentes de ses clients. Elle est par essence une agilité, quand le code du travail était jusqu’alors une rigidité.
Nous inversons la hiérarchie du mouvement et des tailles : d’abord les petits, les différents, les créatifs, les nouvelles formes de travail. D’abord, ceux qui n’avaient pas accès au dialogue voulu par les pères fondateurs des lois sociales. Ces derniers voulaient bien sûr protéger les salariés dans un circuit économique qui ne se régule pas de lui-même et lutter contre les inégalités, mais ils pariaient tous aussi sur un idéal faisant du dialogue social la condition de la réussite économique.
Car tel est le deuxième pilier de ces ordonnances : nous voulons donner une nouvelle responsabilité aux acteurs sociaux. Nous croyons que la réussite économique et le progrès social peuvent aller de pair, mais seulement si le dialogue social ne se limite plus à un affrontement où chacun campe sur des postures, souvent éloignées du vécu concret des entreprises. Où le dialogue social conduit plutôt à un blocage, car chacun prête à l’autre de mauvaises intentions dont il ne pourrait se rapprocher. Ce jeu de rôles a parfois conduit à discréditer les partenaires sociaux – qui ne trouvent d’ailleurs guère d’adhésion pour les mandats de délégués, qu’ils soient patronaux ou syndicaux – et à décourager la participation aux élections professionnelles. Il est vrai que, pour un salarié, l’idée de s’engager pour être perçu comme un empêcheur n’est pas des plus attirantes. Et pour un chef d’entreprise, l’idée de militer pour ressembler à sa caricature donne l’impression d’une perte de temps.
Mais jusqu’alors, ce système conflictuel et aporétique n’était pas très grave. La loi décidait de tout, et les accords de branche ou d’entreprise décidaient du reste – de peu ou pas grand-chose. On pouvait en rester à un dialogue bloc contre bloc : quand il y a peu de « grain à moudre », pour reprendre la formule d’André Bergeron, les meuniers peuvent rester sur leurs désaccords. Désormais, les représentants des salariés et des employeurs vont voir leur rôle renforcé, et seront incités à travailler ensemble pour réussir ensemble. Nous croyons qu’ils saisiront cette responsabilité de ne pas laisser aux autres ou à la loi le soin de décider à leur place. Ils peuvent – ils doivent – passer d’une logique de conflit à une logique de négociation, parvenir à des accords où chacun fait un pas vers l’autre et inventer des conseils d’entreprise qui savent que seul on va plus vite, mais qu’ensemble on va plus loin. Il faudra discuter, expliquer et accompagner car ce mouvement sera long tant les mauvais plis sont pris. Il y aura des patrons qui n’y croiront pas, car dans leurs représentations mentales, il y a toujours un profiteur et un exploité, et il vaut mieux être le premier des deux. Ou des représentants de salariés qui seront déçus de ne plus pouvoir en découdre à chaque fois. Que les uns et les autres l’entendent : le code a changé ! Et nous attendons d’eux qu’ils cassent leurs murs de Berlin mentaux pour coopérer, non pas seulement à une sorte d’économie sociale de marché à l’allemande, mais à une nouvelle économie sociétale de marché à la française.
Notre projet considère chacun et postule chez tous la conscience de l’intérêt collectif. Pour le bien de l’entreprise et celui des salariés, pour enfin démontrer que l’un ne va pas sans l’autre et pour participer au grand redressement dont nous avons besoin, tous peuvent, ensemble, apporter leur pierre dans la lutte contre le pire scandale social que ma génération a connu, le chômage de masse. Les Français savent que devant cet enjeu national et devant notre responsabilité collective de ne pas laisser à nos enfants le même pays abîmé par le sous-emploi et de ne pas déjà condamner une partie d’entre eux à son cortège de malheur, le statu quo
Cela vaut, les chômeurs valent, nos enfants, dont nous ne voulons pas faire de nouveaux chômeurs, valent que l’on change ! Que notre pays considère chacun et adapte la loi aux différences et aux évolutions ! Qu’un nouveau dialogue social bâtisse des prospérités nouvelles dans les entreprises et participe au nouveau projet social du pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et REM.)
M. le président
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès Firmin Le Bodo
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, les mesures de réforme du code du travail présentées dans ce projet de loi de ratification des ordonnances sont le résultat d’un pari, celui de la confiance et de l’optimisme.
Il est tout d’abord celui de la confiance dans la capacité de nos entreprises, employeurs et salariés confondus, à parvenir par le dialogue à l’adoption de mesures qui à la fois sont favorables à la compétitivité de notre économie et renforcent les droits dont bénéficient les salariés.
Il est également celui de l’optimisme, car ces mesures sont le reflet d’une vision apaisée et sereine de l’entreprise. Celle-ci n’est plus, si elle l’a jamais été dans l’esprit de nos concitoyens, le lieu d’un rapport de force stérile et conflictuel entre patrons et salariés. Qui peut croire en effet que la première préoccupation d’un employeur au moment d’embaucher un salarié supplémentaire soit de planifier son licenciement ?
S’il existe des dérives, qu’il convient d’encadrer et de sanctionner, ce n’est pas la réalité que proposent les employeurs de notre pays. Ce n’est pas non plus la réalité que connaissent des millions de salariés au quotidien.
Ce projet de loi prend davantage en compte la complexité des parcours de vie et des aspirations individuelles. Il est en effet désormais moins fréquent de « faire carrière » au sein d’une même entreprise, comme pouvaient le faire nos parents ou nos grands-parents. L’assouplissement des possibilités de recours au télétravail constitue une reconnaissance bienvenue de ces évolutions.
Notre code du travail doit s’adapter en conséquence, pour mieux protéger et encadrer ces nouvelles relations de travail. La réforme du code du travail que nous examinons cette semaine répond d’autre part et surtout à une urgence, celle du chômage de masse, qui s’élève structurellement depuis des décennies et qui connaît aujourd’hui des niveaux historiquement élevés. La lutte contre le chômage doit être une des priorités absolues du Gouvernement.
Face aux innovations technologiques et à la révolution du numérique, face aux bouleversements provoqués par la mondialisation et par la compétition économique nouvelle qu’elle a engendrée entre les pays, une partie de nos concitoyens s’est trouvée en quelque sorte marginalisée. Nous devons agir pour leur redonner des marges de manœuvre, tant nous sommes convaincus que la réalisation de soi par le travail est une composante essentielle de la vie d’une personne qui participe à son épanouissement en tant qu’individu et détermine son sentiment d’appartenance vis-à-vis de la société tout entière.
Une réforme globale de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’assurance chômage est en cours et sera discutée devant la représentation nationale l’année prochaine. Elle devra répondre à ces deux interrogations : faciliter l’acquisition des savoirs, en particulier pour les personnes les plus éloignées du marché du travail, et les protéger davantage face aux aléas de la vie.
Lors de l’examen du projet de loi d’habilitation en juillet dernier, le groupe Les Constructifs avait salué la volonté de profiter de l’élan qu’offre traditionnellement le début d’un nouveau mandat pour transformer durablement notre code du travail. Nous avions, vous le savez, émis des doutes sur la méthode et regretté que le Parlement ne soit pas davantage associé à la rédaction des ordonnances.
Pour autant, la majorité des députés de notre groupe avait voté en faveur du projet de loi d’habilitation et reconnu la qualité de la méthode de concertation en association étroite avec les partenaires sociaux. Lors de leur audition devant la commission des affaires sociales, la quasi-totalité des représentants des employeurs et des salariés a ainsi salué l’écoute et la disponibilité du Gouvernement. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Les mesures présentées par ordonnance contribueront de manière décisive à la simplification du dialogue social en plaçant celui-ci au cœur de l’entreprise. Dans le même temps, le renforcement du rôle de régulation de la branche permettra de prendre davantage en compte les besoins spécifiques des TPE-PME, qui étaient jusqu’alors les grandes oubliées du dialogue social. Nous nous en réjouissons, car c’était une de leurs grandes attentes.
Nous nous réjouissons également de la fusion des instances représentatives du personnel et de la création d’une instance unique, le comité social et économique. De même, l’instauration d’un barème obligatoire dans le cadre de l’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse est une mesure d’équité pour les salariés et permettra de sécuriser les employeurs.
La mise en place de l’accord de rupture conventionnelle collective et des accords de compétitivité emploi ainsi que le changement du périmètre d’appréciation des difficultés économiques sont également des signaux forts en direction des investisseurs étrangers et en faveur de la compétitivité de notre pays. Pour autant, nous regrettons que le Gouvernement n’aille pas plus loin dans la transformation de notre code du travail et n’ait pas souhaité procéder à une refonte des seuils sociaux, qui représentent un véritable frein psychologique à l’embauche et un coût organisationnel et financier pour les employeurs. Nous avons déposé plusieurs amendements en ce sens pour retenter notre chance.
De même, nous aurions souhaité la mise en place d’un contrat de travail unique à droits progressifs. Le projet de loi prévoit de laisser aux branches la compétence concernant les négociations au sujet des CDD, des contrats de mission ou de chantier. Face à la précarité du CDD, le contrat de travail unique permettrait d’apporter la souplesse dont les employeurs ont besoin tout en protégeant davantage les salariés. Nous souhaitons qu’un débat ait lieu dans cette assemblée sur ce sujet.
Concernant la prévention, nous saluons la suppression du compte de prévention de pénibilité, qui complexifiait inutilement la vie de nos entreprises sans apporter de réponse adaptée à la pénibilité réelle de certains emplois. Son remplacement par le compte professionnel de prévention est donc bienvenu.
Nous estimons néanmoins qu’il faut considérablement accroître les dispositifs existants en matière de prévention en santé au travail. Nous rejoignons d’ailleurs en cela les préoccupations de Mme la ministre de la santé, qui a fait de la prévention l’un des piliers de la stratégie nationale de santé. Afin d’améliorer la détection des maladies professionnelles, nous ferons plusieurs propositions visant à accroître l’efficacité des acteurs de la médecine du travail.
Sur l’initiative de mes collègues Francis Vercamer, Charles de Courson et moi-même, nous proposerons notamment la mise en place d’une visite obligatoire en fin de carrière pour les salariés ayant été durablement exposés durant leur carrière à des facteurs de risques professionnels.
Le groupe Les Constructifs aborde donc favorablement la discussion de ce projet de loi et examinera avec bienveillance les dispositions permettant d’améliorer le dialogue social et la compétitivité de nos entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe LC.)
M. Philippe Vigier
Excellent !
M. le président
La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voilà réunis dans un hémicycle que certains membres de la majorité envisagent sérieusement, dans le cadre de la rénovation du Parlement, de quitter au profit d’espaces de travail plus « modernes ». Ne nous encombrons pas d’histoire, ce n’est pas comme si nous étions toutes et tous de passage dans une institution que le peuple français s’est donnée.
Avant vous, il n’y avait pas d’avant ; c’est du moins ce que vous pensez. En vérité, c’est au sein de cet hémicycle que, depuis 1841 et la loi relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers et interdisant le travail des enfants de moins de huit ans, ont commencé d’être débattues, délibérées, votées les lois qui, les unes après les autres, ont élaboré notre droit du travail. Ces lois ont permis que les femmes et les hommes en situation de subordination voient leurs droits fondamentaux reconnus dans l’exercice de leur profession.
C’est en juin 1893 qu’a été votée la première loi concernant l’hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels, sujet majeur qui sera repris et renforcé par la loi Auroux de 1982 relative aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Selon les statistiques de la Caisse nationale de l’assurance maladie, le nombre d’accidents du travail mortels a été divisé par trois entre 1980 et 2010.
Mais tout cela était probablement trop compliqué, il fallait simplifier. Vous regroupez donc les instances représentatives du personnel en une seule, le comité social et économique, et diminuez de fait le nombre de salariés qui pourront s’y investir ainsi que les moyens financiers qui y sont alloués. En outre, s’agissant par exemple du recours à des experts agréés, vous mettez 20 % de son coût à la charge de cette nouvelle instance. Ce procédé a été qualifié de « ticket modérateur » ; vous voilà rendus à modérer l’exercice des droits syndicaux. Il y avait donc un abus d’utilisation de ces droits par les CHSCT ? Pourtant seulement 5 % d’entre eux faisaient appel chaque année à une expertise, puisqu’il y avait en moyenne une expertise tous les vingt ans dans ce cadre. Il fallait donc en effet un ticket modérateur…
Nous voilà réunis dans un hémicycle qui est le lieu, depuis plus de deux cents ans, de l’élaboration de lois qui doivent tenir compte du réel, parfois pour le changer, le transformer et construire un chemin de progrès, un avenir commun, un chemin incertain – nous le savons, nous les utopistes, les partageux, nous les socialistes.
En mai dernier, le ministère de la santé publiait l’édition 2017 de son rapport sur l’état de santé de la population en France. Celui-ci mettait en évidence un enjeu stratégique central : la progression de la santé dans notre pays doit se concentrer sur la réduction des inégalités de santé. Sur la période 2009-2013, l’écart d’espérance de vie à 35 ans entre cadres et ouvriers est de 6,4 ans pour les hommes et de 3,2 ans pour les femmes, des écarts qui se creusent depuis le début des années 2000.
Comme le note le rapport, ces inégalités sont principalement déterminées par des expositions aux agents cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, des expositions à des facteurs de pénibilité et des expositions à des facteurs de risque psychosociaux. En 2010, plus de 8 millions de salariés, soit près de 40 % des salariés en France métropolitaine et à La Réunion, étaient exposés à au moins un des facteurs de pénibilité. 12 % des salariés français sont exposés à au moins un agent cancérogène. Ce sont principalement des hommes, notamment des ouvriers.
Face à de telles évolutions, de tels défis, de telles injustices, il y a quelques mois encore, dans cet hémicycle, les députés de la nation débattaient et construisaient les premiers éléments de nouvelles sécurités professionnelles avec le compte personnel de prévention de la pénibilité et le compte personnel d’activité, pour affronter l’incertitude de notre temps et sécuriser les parcours professionnels. Ces nouvelles sécurités étaient jugées bien insuffisantes par certains, mais elles étaient visiblement déjà beaucoup trop pour votre majorité, qui s’empresse de les déconstruire.
Là où une logique de prévention se construisait, vous la remplacez par une logique de réparation et vous faites disparaître des facteurs de risque : l’exposition à des agents chimiques dangereux, aux poussières et aux fumées, le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques émises par les machines.
Quelle efficacité, quelle justice pour les personnes qui auront eu à subir les atteintes dans leur chair et dans leur psychisme de conditions de travail contestables et qui pourraient être évitées ?
Nous voilà réunis dans un hémicycle dans lequel le peuple français doit se reconnaître, non pas en s’identifiant à l’un ou l’autre d’entre nous, mais en se retrouvant dans les débats qui s’y déroulent. Ce sont ces débats qui doivent faire la représentation, car il y a bien un peuple, et nous devons en incarner non seulement l’existence et l’unité, mais aussi les contradictions, les conflits, et pour cela déployer ici les débats.
Certes, cela est bien éloigné de votre conception de la démocratie, qui veut que le chef du parti majoritaire soit choisi par le bon vouloir du Président de la République avant d’aller se faire acclamer. Il faut toutefois vous reconnaître une certaine cohérence, une certaine constance, chers collègues de la majorité, puisque vous proposez un modèle très proche pour les salariés des petites entreprises, dans lesquelles désormais le chef d’entreprise pourra se choisir un interlocuteur et faire procéder lors d’une acclamation à main levée que vous osez appeler référendum à la validation des accords qui auront été élaborés dans des conditions évidemment équitables et équilibrées.
Nous voilà réunis dans un hémicycle au nom des Françaises et des Français qui ont permis à chacune et à chacun d’entre nous de recueillir une majorité de suffrages. Nous sommes toutes et tous représentants du peuple français. Nous avons cependant pour la plupart été élus avec une participation relativement faible. Nous sommes donc toutes et tous, plus que jamais, appelés à relever chaque jour le défi de cet exercice de la représentation. Et cela commence par un souci constant, un devoir de partager notre parole, de tenir notre parole, nos promesses, nos engagements. N’était-ce pas, d’ailleurs, un slogan de campagne ?
Les slogans de campagne disaient : « simplification du code du travail » ; nous voilà avec des ordonnances de plusieurs centaines de pages qui, en vérité, ne simplifient pas grand-chose. Les slogans de campagne disaient : « Faciliter les licenciements pour favoriser les embauches ». Nous voyons bien la facilitation des licenciements jusqu’à l’absurde. La loi protège désormais les employeurs qui la violent au détriment des salariés qui sont leurs subordonnés dans le cadre du contrat de travail. De plus, votre loi sera sur ce point doublement injuste, car avec votre barème, le préjudice personnel ne sera plus appréhendé.
Vous vous étonnez qu’un même licenciement abusif ne donne pas lieu à une même appréciation du préjudice entre deux conseils de prud’hommes. Cela est cependant dû non pas à l’arbitraire de ces conseils, mais aux différences entre les personnes concernées. Comme le dit Paul Ricœur, que chacun peut citer à sa convenance : « La justice consiste à attribuer précisément à chacun sa part .» Pensez-vous vraiment que face à un licenciement abusif une femme de quarante-cinq ans élevant seule ses trois enfants subit le même préjudice qu’une personne célibataire surdiplômée de vingt-cinq ans ? Pensez-vous vraiment que la justice consiste à attribuer ici la même réparation, la même indemnité à chacun ?
Pendant que vous empilez les injustices, nous ne vous entendons plus parler des faits sur l’emploi. Par la voix du vice-président du MEDEF comme par la vôtre, madame la ministre, nous sommes prévenus : il ne s’agit pas d’une baguette magique, et il n’est pas à attendre de vague d’embauches.
Les slogans de campagne parlaient de droits effectifs qui viendraient remplacer des droits ne trouvant pas à s’appliquer. Mais de quel droit effectif parlez-vous quand vous raccourcissez le délai de prescription à un an pour contester un licenciement ? De quel droit effectif parlez-vous quand vous supprimez le droit d’alerte ? De quel droit parlez-vous quand vous plafonnez les indemnités de licenciement ?
Alors que notre société est déjà fracturée, vous décidez d’aggraver cette situation en prévoyant des mini-droits pour les mini-jobs, des petits droits pour les salariés des petites entreprises. Alors que les salariés subissent des précarités nouvelles, vous fragilisez le CDI en développant le contrat de chantier, qui n’est qu’un CDD sans prime de précarité. Alors que l’organisation du travail ne cesse d’individualiser les postes, les fonctions, de défaire les liens collectifs qui faisaient du travail un élément essentiel de la socialisation, vous renforcez cette pente dangereuse en organisant la disparition pure et simple des syndicats dans les entreprises de moins de vingt salariés, et permettez même aux entreprises de moins de onze salariés de se passer du mandatement, ce qui prive plus de 3 millions de salariés du soutien de syndicats.
Alors que les multinationales optimisent à tout va leurs bénéfices, vous leur facilitez le licenciement en réduisant le périmètre d’appréciation de leurs difficultés économiques. Alors que nous vous avons demandé de recevoir les représentants des groupes parlementaires avant la présentation des ordonnances et que vous sembliez avoir fait droit à notre demande dans cet hémicycle, l’engagement que vous aviez pris n’a pas été tenu.
Tout compte fait, peut-être avez-vous bien fait de procéder ainsi, par ordonnances, pour gribouiller ce nouveau droit du nouveau monde, conçu pour les entreprises, qui ne protège pas les salariés ni ne prépare l’avenir. Au moins le Parlement ne sera-t-il que très partiellement responsable de l’écriture précipitée d’un droit trahissant les promesses de justice que devrait comporter chaque loi de la République ! À n’en pas douter, un jour prochain, le Parlement fera droit à nouveau aux légitimes attentes de justice du peuple français et reprendra le fil de son histoire !
Les membres du groupe Nouvelle Gauche seront de ces combats, non en s’accrochant simplement au monde ancien – cela ne suffira pas, car nous ne croyons ni au conservatisme forcené au nom des acquis sociaux, ni à la pente libérale – mais en concevant réellement un approfondissement de la démocratie sociale dans les PME, en développant le chèque syndical, en revoyant les procédures de mandatement, en faisant face à l’ubérisation et en anticipant les conséquences de la révolution numérique.
Il en résultera un droit qui ne consistera pas à dire aux Françaises et aux Français, comme le leur a dit le Président de la République lors de sa dernière intervention télévisée : « Le monde change, alors changez avec lui !». (Applaudissements sur les bancs des groupes NG et GDR.)
M. le président
La parole est à M. Adrien Quatennens.
M. Adrien Quatennens
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc à l’heure de la ratification de vos ordonnances par l’Assemblée, madame la ministre ! Si celle-ci devait avoir lieu, il est clair qu’elle serait privée du soutien des Français, qui soutiennent en majorité la mobilisation contre ces ordonnances, et ils ont bien raison ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe REM.)
M. Erwan Balanant
Vous n’êtes pas vingt !
M. Adrien Quatennens
Ils ont compris qu’elles constituent un recul sans précédent et, en définitive, une liquidation du code du travail. En dépit de la méthode employée – celle des ordonnances, mille fois décriée, qui vous permet de limiter considérablement les pouvoirs d’un Parlement que vous vous plaisez bien souvent à réduire à l’état de chambre d’enregistrement des desiderata de M. Macron –, nos débats auront permis d’éclairer les enjeux dont procèdent ces ordonnances.
Oui, madame la ministre, il convient de s’attaquer frontalement au chômage de masse qui mine notre pays : c’est là notre unique point d’accord ! Alors même qu’une stricte minorité d’employeurs – 11 % selon l’INSEE – cite le contenu du droit du travail comme un frein à l’embauche, vous vous entêtez dans cette idée absurde selon laquelle vous réduirez le chômage en réduisant les droits des salariés pour améliorer la compétitivité. Vous prenez le problème du chômage par le mauvais bout, comme avant vous MM. Sarkozy et Hollande qui vous ont ouvert la voie.
Notre diagnostic diffère en tous points du vôtre. La situation de l’emploi dans notre pays est une situation de pénurie. Tout d’abord, comme vous le savez, la notion de chômage volontaire est un leurre qui ne résiste pas à l’analyse des faits : 98 % des offres de Pôle Emploi trouvent preneur et neuf chômeurs sur dix sont en recherche active d’emploi. Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que 86 % des embauches ont lieu aujourd’hui en contrat précaire. Il n’existe aucune corrélation – il faudra sans cesse vous le répéter – entre les dispositions du droit du travail et le niveau du chômage, comme cela a été démontré à de nombreuses reprises.
La préoccupation principale des employeurs, dont vous ne vous souciez guère, est le niveau de remplissage de leurs carnets de commandes. Pour y répondre, il est urgent de relancer l’activité dans ce pays, mais pas n’importe laquelle : une activité socialement utile et écologiquement soutenable, à laquelle les membres du groupe La France insoumise proposent de parvenir grâce à la planification écologique.
Peut-être cette majorité est-elle tout simplement trop fainéante pour penser autrement que sous les auspices de la trajectoire mortifère consistant à introduire toujours plus de flexibilité en échange de statistiques du chômage améliorées, qui peinent à traduire la réalité sociale de notre pays, caractérisée par toujours plus de souffrance, notamment au travail, et pour rien ?
Votre réponse au chômage de masse, madame la ministre, c’est l’emploi précaire ! Je vous vois déjà expliquer dans quelques mois que le taux de chômage diminue grâce à vos ordonnances, sans jamais admettre que vos statistiques masquent d’abord et avant tout un développement sans précédent de la précarité de l’emploi promettant à chacun une vie pourrie, à l’image du monde du travail que vous préparez.
En attendant, votre discours de promotion des ordonnances relatives au droit du travail semble avoir échoué à berner les Français. Ils doutent – comme on les comprend ! – du bien-fondé de cette prescription amoindrissant le droit du travail au profit, selon vous, d’une liberté accrue, et ils ont raison ! Le Gouvernement continue de se targuer d’une description bien trop flatteuse des dispositions du projet de loi. Il nous incombe donc de rétablir quelques vérités sur le texte que vous nous demandez de ratifier.
Premièrement, vos ordonnances ne sont ni modernes ni adaptées à notre époque, comme vous l’affirmez. Lorsque Yvon Gattaz a obtenu, il y a à peine plus de trente ans, la fin de l’autorisation administrative de licenciement, laquelle conférait à l’inspection du travail le droit de contrôler les motifs d’un licenciement économique, le ministre qui était à votre place tenait un discours exactement identique au vôtre. Il disait : « En facilitant les licenciements, nous favoriserons les embauches car nous réduirons la peur de licencier ».
M. Loïc Prud’homme
Bravo !
M. Adrien Quatennens
À l’heure où les femmes se révoltent face au harcèlement chronique dont elles sont victimes, notamment dans le monde du travail, vos ordonnances réduisent la portée des politiques de prévention en faisant disparaître le CHSCT et nuisent à l’égalité salariale en supprimant l’obligation de négocier sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Elles ne sont donc en rien adaptées à notre époque.
Mme Danièle Obono
Il a raison !
M. Adrien Quatennens
Deuxièmement, vos ordonnances ne permettront pas de créer des emplois, bien au contraire. L’un de vos arguments récurrents consiste à affirmer que faciliter les licenciements, réduire les délais de recours et pouvoir procéder à la fameuse rupture conventionnelle collective constitueraient autant de mesures de nature à rassurer les chefs d’entreprise et à les inciter à embaucher. C’est faux.
Le ministère du travail lui-même dispose d’une étude sur les freins à l’embauche démontrant pour la énième fois que les patrons français ne rêvent pas de licencier plus facilement pour embaucher davantage. C’était faux il y a trente ans, ce n’est pas plus vrai aujourd’hui.
Un autre argument récurrent repose sur la fameuse compétitivité, qui justifie la quête infernale de coûts et de normes toujours plus faibles afin d’être plus compétitifs que le pays voisin. Cette quête est infinie, mortifère et irrationnelle ! Figurez-vous, mes chers collègues, que vous n’êtes pas les seuls à vous engager dans cette course absurde au moins-disant social, les autres pays s’y engagent aussi ! La Roumanie, cette semaine, a procédé à une diminution drastique des cotisations patronales des entreprises afin d’inciter à l’installation. Être plus compétitifs que la Roumanie, est-ce là votre projet politique ? Est-ce là l’horizon que vous proposez aux Français ?
Vos ordonnances ne font pas non plus le pari du dialogue social, madame la ministre. Elles organisent méthodiquement un long monologue patronal. On peut parler de dialogue si deux parties peuvent débattre et trouver un accord, ce qui suppose qu’elles soient placées dans une situation d’équité. Or vous organisez la situation inverse. En fusionnant les instances représentatives du personnel et en réduisant leurs moyens, en écartant les délégués syndicaux des entreprises de moins de 50 salariés, en autorisant l’organisation d’un référendum à la seule initiative de l’employeur dans les entreprises de moins de 20 salariés et en fragilisant la situation de tout salarié en facilitant son licenciement, vous placez les salariés dans une situation nettement plus défavorable que celle qui prévalait auparavant.
Sur des aspects essentiels de leurs conditions de travail, tels que les primes annuelles, l’égalité salariale et tout ce qui était déjà possible depuis la loi El Khomri, vous contraignez les salariés à la discussion sans leur donner les moyens d’y participer véritablement. D’ailleurs, on ne lit absolument rien dans vos ordonnances qui vise à renforcer le poids des salariés sous d’autres aspects de la vie de l’entreprise.
Quitte à faire le pari du dialogue social, vous auriez pu les associer aux décisions stratégiques de l’entreprise, notamment au partage de la plus-value. Mais non, évidemment ! Votre dialogue social est en fait le monologue de l’employeur, qui seul a la parole car il parle le plus fort.
En outre, vous avez souvent affirmé que vos ordonnances procèdent à la simplification du droit du travail, mais c’est tout le contraire, madame la ministre : elles complexifient à peu près tout ! Alors même que notre pays avait auparavant la chance de disposer d’un code du travail pour tous et de conventions collectives adaptées à chaque secteur, vos ordonnances permettent à chaque entreprise d’édicter ses propres règles – et dans quelles conditions ! Pensez-vous vraiment qu’un référendum dans une boulangerie soit plus propice à la définition de règles que le débat démocratique national ?
Alors même que la République produisait le droit, vous transformez celui-ci en un agrégat de petites structures ayant chacune ses règles : ici le treizième mois, là pas la moindre prime ; ici le travail de nuit payé double, là pas davantage que le travail de jour. L’effet de la concurrence sur ces règles sera catastrophique, car vos ordonnances contraindront l’entreprise la plus vertueuse à s’aligner sur l’entreprise la moins coûteuse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
Et que dire du flou qui régnera désormais ? Les salariés comme les chefs d’entreprise vivront dans un véritable chaos ! Compte tenu du nombre de règles distinctes qui seront édictées, ce n’est plus un code du travail qu’il faudra mais une encyclopédie en plusieurs volumes !
À ce propos, on a souvent évoqué l’épaisseur du code du travail, dont nous avons récemment reçu la nouvelle version, celle intégrant vos ordonnances. Je n’ai pas constaté qu’il soit moins épais que le précédent et pense même, sans l’avoir pesé, qu’il l’est davantage !
Vous prétendez souvent agir au nom des TPE et des PME, mais vos ordonnances n’apportent aucune solution au problème du carnet de commandes, qui d’ailleurs seront d’autant plus vides que les politiques de flexibilisation du travail plongent de nombreux salariés sous le seuil de pauvreté depuis un certain temps. La demande intérieure sera contrainte par le faible niveau des salaires que vos réformes induisent. Les ordonnances compliqueront la vie des petites entreprises plus qu’elles ne la simplifieront.
En revanche, les grandes entreprises et les multinationales y trouveront de formidables outils leur permettant d’agir comme bon leur semble, en particulier la rupture conventionnelle collective et la réduction aux frontières nationales du périmètre d’appréciation de leurs difficultés économiques, qui leur est entièrement dédiée et qui leur permettra de procéder à des licenciements économiques massifs chez nous tout en affichant des résultats florissants partout ailleurs.
Par ailleurs, les grandes entreprises seront exemptées non seulement de leur responsabilité sociale mais aussi de leur responsabilité sanitaire en raison de la suppression de l’obligation de suivi de l’exposition aux agents chimiques. Bref, ces ordonnances organisent en fait – assez habilement, il faut le dire – leur impunité juridique, sociale et sanitaire. Cela constituera sans doute d’ailleurs leur seul résultat probant.
Madame la ministre, il existe tant de dispositions bien plus enthousiasmantes à adopter sur le front de l’emploi et de l’activité que nous aurions pu soutenir ! Notre pays regorge de l’énergie et des compétences pour faire autrement. La France pourrait marcher en tête d’une bifurcation en matière de production, de distribution et de consommation. Il y a tant de mesures créatrices d’emplois pérennes et adaptées aux grands défis de notre temps à prendre ! Mais de tout cela, vous ne faites rien, évidemment ! (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
M. le président
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi de ratification qui nous est soumis aujourd’hui est la preuve que le Gouvernement ne tire aucune leçon du passé, et sa majorité pas davantage.
J’évoquerai tout d’abord la méthode utilisée. L’encre des 49-3 successivement utilisés pour faire adopter la loi El Khomri à peine sèche, vous vous obstinez, madame la ministre, sans avoir pris le temps d’évaluer les réformes précédentes, à accabler le code du travail de tous les maux économiques du pays ! Je vous le dis très directement : ce nouveau coup de force n’est pas digne d’une République moderne, car il discrédite encore davantage le rôle de nos institutions et entérine la supériorité du droit du plus fort sur la force de construction démocratique du droit !
Rien, en effet, ne justifiait de légiférer en urgence, par ordonnances, sur un sujet aussi primordial. Notre droit social est le fruit de dizaines d’années de luttes et de conquêtes sociales, comme l’a brillamment rappelé notre collègue Pierre Dharréville. Avez-vous conscience, madame la ministre, que vous tournez le dos à notre histoire sociale et à une part de ce qui fonde notre République, cette République sociale dont l’ordre constitutionnel comprend toujours le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Une vraie réforme du code du travail aurait mérité un autre débat public ; elle aurait mérité d’associer pleinement les syndicats dans le cadre d’une grande négociation nationale interprofessionnelle ; elle aurait mérité de laisser au Parlement le soin d’élaborer la loi, ce qui est tout de même, vous en conviendrez, mes chers collègues, sa fonction première !
M. François Ruffin
Exactement !
M. André Chassaigne
Madame la ministre, vous parlez de réussite. Mais le bilan de cette séquence est désastreux ! Désastreux, puisqu’une majorité de Français et de syndicats sont opposés à votre projet. Désastreux, si l’on considère la logique des textes qui nous sont soumis aujourd’hui. Ils prennent simplement la suite de l’opération de démantèlement des droits sociaux commencée par la loi El Khomri. Loin de la révolution annoncée, vous nous imposez un copier-coller des réformes néolibérales menées ces dix dernières années en Europe sous l’impulsion de la Commission européenne, leurs dogmes imprégnant les 160 pages de vos ordonnances. Désastreux, lorsque l’on examine les principales orientations de ces ordonnances : affaiblissement du droit des travailleurs à disposer d’une représentation, démantèlement des systèmes de négociation collective, élargissement du nouveau droit du licenciement, encouragement des contrats précaires, et j’en passe !
Les effets de ces réformes rétrogrades ne sont d’ailleurs plus à prouver. Partout où elles ont été mises en place, elles se sont traduites par une précarisation des salariés au nom de la compétitivité, par une modération salariale au nom de la baisse du coût du travail, par un affaiblissement des syndicats au nom de la flexibilité. Que d’avancées !
Et quel paradoxe que de voir les pays de l’Union européenne affirmer leur volonté de construire une Europe sociale, sur un socle européen de droits sociaux, pendant que vous vous employez ici, par tous les moyens, à liquider le modèle social français ! Quelle contradiction de voir le Gouvernement se féliciter d’être le « premier de cordée » dans la lutte contre le travail détaché, en organisant lui-même la précarisation des salariés français !
Madame la ministre, en généralisant l’inversion de la hiérarchie des normes, en remettant en cause le principe de faveur, en faisant de l’accord d’entreprise le pivot des relations sociales, vous créez les modalités, sur le territoire national, d’une mise en concurrence par les conditions de travail.
Sous couvert de « négociation au plus près du terrain », vous mettez en place le régime du tout négociable et affaiblissez la loi commune. Ce faisant, vous niez les rapports de force qui se jouent au sein des entreprises, et passez sous silence le lien de subordination inhérent à toute relation salariale. Dans ce nouveau schéma, la primauté de l’accord d’entreprise devient le principe. La négociation de branche est désormais vouée au rôle de dernière – et hypothétique ! – rambarde.
Ainsi, il sera désormais loisible de négocier à la baisse tous les éléments de rémunération, à l’exception des salaires minimaux : les primes d’ancienneté, le treizième mois, les primes de nuit… S’ouvriront alors inévitablement des séquences de chantage à l’emploi dans les entreprises, que la négociation de branche permet aujourd’hui d’éviter.
L’exemple de l’accord signé le 4 octobre par les routiers est de ce point de vue tout à fait éclairant. Mobilisés pour la pérennité de leurs différentes primes, ils ont obtenu qu’elles soient intégrées dans les salaires minimaux garantis par la branche. Preuve s’il en fallait du potentiel de dumping social de votre projet !
Madame la ministre, vous prétendez dans le titre de ce projet de loi « renforcer le dialogue social » et « redonner de la confiance ». Mais vous mettez tout en œuvre pour affaiblir la représentation des salariés et le fait syndical, qui sont les garants d’un dialogue plus équilibré. Ainsi, les nouvelles modalités de négociation dans les petites entreprises, où il sera possible de négocier sans syndicats, traduisent le retour à l’arbitraire patronal, en laissant le salarié seul dans un face-à-face avec son employeur !
La création d’une instance unique de représentation n’est autre que la reprise d’une des plus vieilles antiennes du MEDEF contre les lois Auroux de 1982. Elle aboutit à la suppression des délégués du personnel, du comité d’entreprise, et surtout des CHSCT en tant qu’entités autonomes. Triste nouvelle pour la santé au travail, au moment même où vous supprimez le compte pénibilité ! Même dans les entreprises où une présence syndicale est assurée, vous laissez la porte à ouverte à une remise en cause du monopole syndical, avec des élus du personnel sans moyens et sans indépendance.
Enfin, ce texte est la consécration de la logique de flexi-précarité. La troisième ordonnance se fixe ainsi l’objectif de « sécuriser les relations de travail pour l’employeur comme pour les salariés ». Le dernier membre de phrase de ce titre est visiblement de trop, alors que vous mettez en place un arsenal juridique à disposition des employeurs pour se séparer des salariés. Vous ne vous êtes pas contentée de vider le code du travail de son contenu, vous avez inventé, de façon tout à fait innovante, le code du licenciement !
Alors que le droit du travail était déjà largement contourné, vous introduisez aussi le vieux projet de plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement illégal, au motif de « lever la peur de l’embauche ». Pourtant, quand on interroge les employeurs, leur réponse est unanime : c’est le carnet de commandes qui détermine la création d’emplois, ce n’est pas la peur – que dis-je, l’effroi – d’embaucher !
Comble de l’hypocrisie sociale, vous créez un nouveau mode de rupture du contrat de travail : la rupture conventionnelle collective ! Ou l’art et la manière de présenter des plans sociaux sans s’embarrasser des protections liées au licenciement économique ! Avec ce nouvel assouplissement du droit du licenciement économique, la boucle est bouclée. Ainsi, le périmètre d’appréciation des difficultés économiques d’une entreprise, comme l’obligation de reclassement, sera limité au territoire national : du pain bénit pour les grands groupes en parfaite santé financière, qui pourront donc licencier dans leurs filiales françaises sans crainte de voir le juge prud’homal condamner ces pratiques abusives.
Comme rien n’arrête le Gouvernement, ni vous, madame la ministre, vous prévoyez aussi de faciliter le recours aux CDD et à l’intérim, tout en faisant le constat d’un recours accru à ces formes d’emploi. Et, cerise sur le gâteau, vous créez le CDI précaire, avec l’élargissement du contrat de chantier. Quel formidable signal d’espoir pour notre jeunesse !
Sans vouloir, bien entendu, le reconnaître, c’est au contrat de travail à durée indéterminée que vous vous attaquez. Toute la cohérence de ces ordonnances vise ainsi à en dissiper le contenu protecteur. Quel contresens social !
Madame la ministre, mes chers collègues, les députés de notre groupe ne peuvent consentir à une telle opération de dislocation du droit du travail, qui entend faire du code du travail un couteau sans manche qui aurait perdu sa lame – c’est le député de Thiers, capitale de la coutellerie, qui vous le dit !
Votre projet, purement idéologique, relève d’une vision archaïque de la société. Une idéologie que vous n’assumez d’ailleurs pas publiquement, celle d’un ultralibéralisme d’un autre temps.
À rebours de ces funestes orientations et de ces ordonnances réactionnaires, nous portons un projet d’alternative progressiste, pour un code du travail du XXIe siècle. Nous le mettrons une nouvelle fois en débat au cours de la discussion. Sa modernité tient dans des principes forts : le partage du temps de travail, l’encadrement des rémunérations des dirigeants, l’égalité professionnelle réelle entre femmes et hommes, le renforcement des pouvoirs de négociation et de gestion des travailleurs dans les entreprises, la lutte contre l’emploi précaire, de nouveaux droits sociaux pour les victimes de l’ubérisation. C’est bien de toutes ces nécessités de notre siècle que nous essaierons de vous convaincre aujourd’hui ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et NG.)
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
4. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi no 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures dix.)
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly